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Être femme devrait être un atout politique

À chaque élection au Conseil fédéral, les mêmes calculs d’épicier : on cherche la perle rare, qui permettra de remplir les critères partisans, régionaux et – parfois – de genre. Cette année encore, l’importance d’avoir une représentation équitable de femmes au sein du plus haut collège de Suisse risque de passer au dernier plan, malgré de nombreuses voix qui se font entendre pour qu’une femme soit élue.

Le Conseil fédéral à majorité féminine et présidé par une femme… un lointain souvenir pour celles et ceux qui pensaient que les femmes avaient définitivement brisé le plafond de verre.

La rengaine est toujours la même: on ne veut pas élire une femme à cause de son genre, mais pour ses compétences. Pourquoi alors paraît-il tout à fait acceptable de réserver une place à un représentant linguistique ?

Parce que d’une part on considère le critère régional comme suffisamment fondamental pour qu’il prime sur la compétence et parce qu’on n’imagine justement pas un instant que ce critère empêche de trouver des candidats compétents. Cela révèle deux biais de réflexion :

  1. Si le critère premier est le genre, il y a un risque de ne pas trouver de femmes suffisamment compétentes pour assurer la fonction à repourvoir. En d’autres termes, la condition « femme » peut annuler la compétence, alors que la condition « tessinois » ou « PLR » ne l’annulerait pas.
  2. Le critère du genre n’est pas une condition suffisamment importante pour primer sur les autres, alors que l’origine et le parti politique le sont.

Femme et compétente

Suivez le raisonnement : un homme choisi parce que latin et compétent est assez compétent pour passer devant un candidat alémanique, qui pourrait par ailleurs être plus compétent, mais une femme choisie parce que femme et compétente n’est pas assez compétente pour passer devant un homme qui pourrait par ailleurs être plus compétent. Dans ce cas comme souvent, on considère même qu’il y a assez de [mettre ici la catégorie non sexuée de votre choix] compétent pour ne pas chercher hors de cette catégorie, mais on refuse de considérer qu’il y a assez de femmes compétentes pour ne pas chercher chez les hommes.

On voit là l’absurdité – et le sexisme – de la réflexion.

Compétente parce que femme

L’équité de représentation des régions et des langues est soulignée comme une condition d’unité nationale et une manière de respecter la diversité de la Suisse. Et bien je demande la même équité et le même respect pour la moitié de la population, nous les femmes, qui souffrons toujours de nombreuses et importantes discriminations, partout en Suisse.

Je ne vais pas rappeler la longue liste des inégalités qui pèsent sur la vie des femmes, de leur enfance à leur retraite, mais il serait temps que notre gouvernement peuplé d’hommes s’en empare comme d’un frein à l’épanouissement général de notre société. Et pour ce faire, ils vont avoir besoin d’une part qu’on leur montre où sont les problèmes (après avoir vu la manière dont les élus ont découvert le harcèlement de rue, j’en suis encore plus convaincue) et d’autre part de laisser de la place aux femmes pour qu’elles trouvent des solutions adéquates aux problèmes qu’elles seules affrontent encore. En suivant cette réflexion, le sexe devient un atout de gouvernance politique qu’il s’agit maintenant de mettre en avant.

Cette quête d’égalité n’est pas seulement – même si c’est primordial – une quête éthique. C’est aussi tout simplement du bon sens économique et social. En effet, on a démontré depuis longtemps que l’émancipation des femmes est un booster économique dans les pays « en voie de développement ». C’est aussi vrai dans les pays riches comme le nôtre. Si les femmes étaient par exemple payées correctement, l’AVS serait en bien meilleure forme. Comme la majorité des travailleurs pauvres sont en fait des travailleuses, ce sont aussi nos besoins en aide sociale qui diminueraient. Plus encore, les entreprises, les instituts de recherche et les sociétés innovatrices réclament des solutions pour libérer les femmes du poids des tâches ménagères (qu’elles assument encore aux deux tiers). Ces employeurs ont compris qu’avec un marché du travail hostile aux femmes, ils étaient coupés de la moitié des forces de travail et des cerveaux. En résumé, peut-être que le chercheur qui va guérir le cancer est une femme, mais qu’elle est trop occupée à jongler avec sa charge mentale pour se consacrer à sa grande destinée.

Un front de politiciennes, de gauche à droite

Même si cela ne va pas toujours de soit, la responsabilité sociale, éthique et démocratique de la promotion des femmes en politique est généralement bien assumée par les partis de gauche. Ce n’est de loin pas le cas des partis du centre et de droite. Dès lors, puisque que la droite est majoritaire dans notre pays, la voix des femmes, qui s’exprime majoritairement à gauche est encore plus minorisée. De plus, si ce sont toujours les mêmes partis qui assurent la charge de l’égalité, ce sont donc toujours les mêmes profils de femmes qui apportent des solutions aux problèmes qu’elles rencontrent. Des solutions différentes, de droite, existent peut-être: il faut les faire entendre.

À ce stade, il est en effet bon de rappeler que les femmes élues ne forment que rarement un front commun pour défendre les droits des femmes, car elles privilégient leur affiliation partisane. Néanmoins, parce qu’elles sont généralement plus affectées par ces problématiques, elles sont plus ouvertes aux différentes solutions. C’est déjà pas mal! Même si peu de femmes politiques annoncent clairement qu’elles auront à coeur de soutenir les droits des femmes et d’améliorer l’égalité réelle entre les femmes et les hommes… À droite, comme souvent à gauche (sauf si on est un homme), le féminisme n’est pas un avantage pour faire de la politique.

Nous avons pourtant besoin d’une solidarité féminine politique pour lutter contre les privilèges économiques et sociaux qu’ont encore les hommes et que certains ne semblent pas pressés de combattre. Nous en avons aussi besoin pour supporter, ensemble, le sexisme bien présent dans le monde politique. À ce titre, il faut saluer la candidature d’Isabelle Moret au Conseil Fédéral, mais aussi le retrait de Jacqueline de Quattro pour la soutenir, l’annonce de Doris Leuthard pour relancer le débat et tous les soutiens exprimés pour un Conseil fédéral plus égalitaire. Car en tant que femme, quel que soit notre parti, nous avons la qualité et la possibilité, mais aussi la responsabilité, de porter cette voix, au delà de nos affiliations partisanes.

 

Liens

Prises de positions pour l’élection d’une femme au Conseil fédéral:

Sur les femmes comme moteur de développement:

N’oubliez pas de plus le lieu où cette solidarité féminine politique s’exprime le mieux dans le canton de Vaud: Politiciennes.ch . Et, pour le plaisir, un de mes meilleurs souvenirs de campagne: les femmeuses_vertes !

 

Postface: les quotas, la solution ?

Une note de blog entière devrait être écrite pour répondre à cette question. Je vais simplement résumer ma position en quelques lignes : j’étais farouchement opposée aux quotas, car – surprise – je veux être élue parce que je suis compétente et non parce que je suis une femme. Mais j’ai depuis réalisé deux choses : (1) le fait que je suis une femme s’ajoute au fait que je suis compétente et augmente ma compétence sur bien des sujets et (2) mon expérience montre que la bonne volonté ne marche que là où elle est fortement présente, et elle est bien trop rarement présente. Le quota permet donc de rétablir un équilibre dans une société encore fondamentalement inégalitaire, en attendant que nous n’en ayons plus besoin.

Quelques liens sur les quotas: