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Exportation de matériel de guerre: la honte made in Switzerland

Et si le Canton de Vaud s’élevait contre l’exportation de matériel de guerre suisse vers des zones de conflits armés?

La Loi fédérale sur le matériel de guerre (LFMG) indique que si les pays de destination des exportations de matériel de guerre sont impliqués dans un conflit armé interne ou international, si le pays de destination viole systématiquement et gravement les droits de l’homme, s’il y a des forts risques que le matériel de guerre à exporter soit utilisé contre la population civile dans le pays de destination, la Suisse interdit l’exportation de matériel de guerre.

Cela a l’air assez strict, mais c’est pourtant déjà mis à mal puisque la Suisse exporte pour des millions de francs d’armement en Thaïlande alors que ce pays connaît un conflit armé interne, en Turquie, en Chine, aux Etats-Unis, en Arabie Saoudite, dans les Emirats arabes unis, etc. Et en plus de ces entorses, le Conseil fédéral et la commission chargée d’examiner la proposition ont pris la décision de principe d’assouplir l’Ordonnance sur le matériel de guerre (OMG), notamment en autorisant l’exportation vers des pays en conflit armé interne. Or, il est important de rappeler ici que les conflits internes sont la première cause de détérioration de la paix dans le monde !

Un assouplissement contraire à nos valeurs

Le projet d’assouplissement de l’OMG est donc inacceptable pour ces vies humaines mises ainsi en danger par le “génie helvétique”, mais aussi parce qu’il constitue une atteinte grave et directe à la tradition humanitaire de la Suisse. Il est par ailleurs incompatible avec notre politique de neutralité. En effet, comment imaginer que la Suisse puisse officier en tant que médiateur — un rôle dont nous sommes pourtant fiers — après avoir vendu des armes à l’une des parties ? Rappelons aussi que, en août 2019, le Conseil fédéral avait complété l’ordonnance par les critères d’exclusion clairs que j’ai énoncés tout à l’heure, cela notamment afin de rendre inutile l’initiative du Groupe pour une Suisse sans armée (GSSA) demandant l’interdiction d’exporter du matériel de guerre. Pour rappel, le canton de Vaud a été le troisième canton à soutenir le plus fortement l’initiative. C’était pour répondre à cette initiative que le Conseil fédéral avait modifié l’ordonnance en la rendant plus stricte, mais il essaye maintenant de la « détricoter » complètement !

Des arguments économiques faux!

Pour justifier un assouplissement, le Conseil fédéral développe des arguments économiques qui ne tiennent pas la route. Tout d’abord, en Suisse, l’exportation des armes de guerre ne représente que 0,15 % du total de nos exportations. Ensuite, malgré l’ordonnance considérée trop stricte par le Conseil fédéral, le chiffre d’affaire des entreprises exportant du matériel de guerre a explosé de plus de 8 % l’année dernière ! Dans le même temps, le salaire du patron de Ruag a augmenté très considérablement, de plusieurs millions de francs. On ne peut donc pas parler d’une industrie qui souffre, l’’exportation d’armes se porte très bien en Suisse. Il n’y a dès lors pas d’inquiétude à avoir pour les emplois de ce milieu économique.

Et notre rôle de promotion de la paix?

La Suisse a perdu trois points, en 2008, dans l’indice de paix dans le monde à cause de « son taux exceptionnellement élevé d’exportation d’armes par habitant ». On peut se ficher de ce genre d’indice, mais ce n’est pas mon cas. Je suis fière d’être citoyenne d’un pays qui promeut la paix par son travail de politique internationale et sa pratique de neutralité active. Il est préoccupant qu’à cause de notre pratique honteuse d’exportation d’armes de guerre, nous perdons des points sur l’indice de la paix et donc de la crédibilité internationale lorsqu’il s’agit de négocier entre des pays en conflit. Cela devrait d’ailleurs préoccuper tous ceux qui sont inquiets pour la neutralité de la Suisse, tous ceux qui se sentent patriotes et libéraux.

Le Courrier, 05.09.18

On récolte ce que l’on sème

L’incohérence des partis qui s’engagent fortement pour que la Suisse n’accueille pas trop de réfugiés et leur position sur ce dossier est à dénoncer. Ce que l’on distribue en armes, on le récolte très souvent en réfugiés, qui fuient les guerres et la violence pour protéger leurs famille. Ne le ferions-nous pas? Lorsque la Suisse vend des armes à l’Arabie Saoudite, qui se retrouvent ensuite au Yémen, quand des grenades suisses sont utilisées en Syrie, nous avons une grande responsabilité face à ces populations qui souffrent et qui se trouvent jetées sur les routes de l’exile, soumises aux dangers et aux violences des passeurs, pour finir à nos frontières, où notre pays n’assume pas sa part.

Responsabilité et humanisme

En plus de notre attachement à la neutralité de la Suisse, il faut en appeler aujourd’hui à la cohérence et à l’humanisme. Il ne s’agit pas de sentiments ridicules ou d’histoire de Bisounours, comme nous en avons été accusés : il s’agit de valeurs qui fondent notre engagement politique! Comme l’a dit un ancien conseiller fédéral : « Refuser l’exportation d’armes vers des zones de conflit est une question de valeurs essentielles. » Je fais appel aux mêmes valeurs humanistes et de responsabilité que cet homme de droite, un libéral et bon connaisseur du terrain : Didier Burkhalter.

Considérant tous ces points, j’ai demandé au canton de Vaud d’exercer son droit d’initiative cantonale auprès de l’Assemblée fédérale avec ce texte: « Le canton de Vaud demande à l’Assemblée fédérale, au besoin par une modification législative, de faire en sorte que le Conseil fédéral renonce à assouplir les conditions d’exportation d’armes dans l’Ordonnance sur le matériel de guerre, en particulier concernant les pays impliqués dans des conflits armés. » Il y a urgence: le sujet est en traitement aux Chambres fédérales et la commission a déjà soutenu la proposition du Conseil fédéral. Malheureusement, la majorité du Grand conseil vaudois l’a plutôt renvoyé en commission, où nous allons avoir le même débat et peut-être rater le train du débat national. À suivre…