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Toussaint’s Festival : parlons de la mort!

Discours prononcé lors du Toussaint’s festival (http://toussaints-festival.ch) où j’ai été invité à parler de mon postulat : La mort c’est tabou, on en viendra tous à bout.

« Ce n’est pas pour mourir que je pense à ma mort, c’est pour vivre. » Cette citation est d’André Malraux, résistant français puis ministre qui a eu la malchance de perdre ses deux fils.

Malgré́ les convictions, les croyances et les espérances personnelles, ou avec elles, face à la mort, nous sommes souvent démuni·e·s, surtout pour en parler. Parce qu’elle fait peur, la mort reste un tabou puissant : difficile de préparer ou même de parler de notre propre mort ou de celle de nos proches. Pourtant, elle reste une préoccupation importante, qui revient tout au long de nos vies et de plus en plus pressante alors que vient l’âge. En effet, la mort est la seule certitude que nous ayons dans la vie.

Parce qu’elle revêt cette importance cruciale, la fin de vie a de plus des conséquences importantes sur la santé publique, sur notre système sanitaire et sur les finances publiques. Pourtant, là aussi, dans le monde politique, chargé de discuter elle reste un sujet tabou.

Ce tabou qui entoure la mort empêche encore aujourd’hui d’aborder frontalement et efficacement des problèmes publics pourtant véritablement existentiels.

C’est pour cela que j’ai déposé un postulat au Grand Conseil : pour éviter les souffrances inutiles et pour mieux gérer l’argent public. Parce que la peur de la mort complique le travail des hôpitaux et des écoles comme je l’ai réalisé grâce à ma grand-maman lorsque nous avons dû l’amener en urgence à l’hôpital pour un problème de coeur et qui n’avait jamais entendu parler des directives anticipées. J’ai alors aussi réalisé que je ne lui avais jamais posé ces questions difficiles.

Je donne deux exemples dans mon postulat :

  1. Les directives anticipées : encore trop peu connues et pratiquées par les Vaudois·es. Selon les chiffres de 2017 (étude du bureau d’études de politique du travail et de politique sociale), alors que 69% des Vaudoises et Vaudois ont déjà réfléchi·e·s aux conditions de leur fin de vie, seul·e·s 16% ont rédigé des directives anticipées. Ce chiffre grimpe légèrement à 25% pour les 55 ans et plus. Ils laissent ainsi bien trop souvent, le moment venu, la lourde responsabilité́ aux soignant·e·s et à leurs proches de prendre des décisions médicales dans le flou ou l’émotion. Plus préoccupant encore, dans un cas sur quatre, les décisions applicables à la fin de vie d’une personne capable de discernement n’ont jamais été́ discutées avec elle. Le risque est alors grand d’ignorer la volonté́ de la personne en fin de vie ou de l’exposer à des souffrances inutiles ou même à un acharnement thérapeutique.
  2. La volonté́ de mourir chez soi : 72% des Vaudoises et Vaudois souhaitent mourir chez eux·elles, à la maison. Malheureusement c’est assez rarement possible actuellement au vu du système offert aux proches aidant·e·s et aux patient·e·s. Hors, une fin de vie à domicile n’est pas forcément le signe d’une mort plus solitaire. Bien au contraire, elle permet souvent à la personne d’être entourée de ses proches le moment venu.

Mais la mort touche aussi à de nombreux autres sujets : le droit de représentation des proches, les soins palliatifs, le suicide, l’accompagnement des personnes en deuil et même les objets accompagnant les mort·e·s comme les cercueils.

Ainsi : 

  • la gestion des dernières heures de vie nécessite le développement de formations spécifiques pour les professionnel·le·s de santé. Ils.elles doivent ainsi avoir des connaissances relatives à la culture et aux croyances des mourant·e·s. 
  • des moyens financiers supplémentaires sont nécessaires, notamment pour absorber la surcharge de travail qu’occasionne pour les CMS une mort à domicile. 
  • il est nécessaire de mieux informer les proches quand ils·elles sont confronté·e·s à la mort et mieux communiquer auprès d’eux·elles paraît également essentiel. 
  • les soins palliatifs à domicile pourraient être renforcés.
  • les acteurs et actrices susceptibles d’intervenir dans une prise en charge sont nombreux·euses (organisations privées d’aide et de soins à domicile, Palliative Vaud…). Il conviendrait d’intégrer tous·tes les acteurs et actrices concerné·e·s à la réflexion.
  • sur ces thèmes, l’Etat doit se montrer soutenant tout en restant à sa juste place.

La mort soulève surtout des questionnements d’ordre philosophique et spirituel particulièrement importants. On dit que l’être humain qui vivra 150 ans est déjà né·e. Je ne sais pas si c’est vrai, mais au-delà de ça, est-ce que c’est vraiment ce que nous voulons comme futur : une médecine qui repousse toujours les limites de la mort, au dépend parfois (souvent ?) de la qualité de vie ? Une médecine centrée sur la survie des patients et des patientes plutôt que de la prévention et de l’accompagnement bienveillant dans toutes les étapes de la vie ?

Mon postulat invite donc les élues et élus à traiter la question de la mort au sens large. En particulier, pour des responsable politiques dont le rôle est d’attribuer des budgets à telle ou telle politique publique, il s’agit de prendre du recul et de questionner le rapport actuel de la politique avec la médecine et des patients et patientes avec la médecine.

Ainsi, j’aimerais que nous questionnons la tension entre une médecine qui sauve et l’inéluctabilité d’une fin à toute vie. La mort, dans un monde biomédical très technologique, est finalement considérée comme un échec plutôt que comme une nécessité – finale – à la vie. La place que nous laissons à la spiritualité et à la bienveillance, au temps, dans cette machine technique et économique. La place que nous laissons à la finitude.

La population vaudoise vieillit. Une réflexion commune et globale autour de la fin de vie et de la mort, paraît aujourd’hui nécessaire. Des discussions constructives doivent être ouvertes sur la place publique. Il est important d’en débattre et de réfléchir aux mesures à mettre en œuvre pour améliorer la fin de vie, car avoir une fin de vie de qualité́ fait aussi partie de la qualité́ de vie.

Donc :

J’ai demandé la tenue d’Assises ou de toute autre forme de rencontre qui permette les échanges et une co-construction de solutions, ardemment demandées par les professionnel·le·s de la santé, ainsi que cela a été rappelé́ dans les médias. Mon postulat sera d’ailleurs bientôt à l’ordre du jour du Grand Conseil. Avec le soutien unanime de la commission de santé publique, j’espère qu’il permettra d’ouvrir ce champ indispensable de réflexion.

Photo © Léonore Porchet