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AVS 21 : une réforme inacceptable

De quoi parle-t-on ?

Avec AVS 21, le Conseil fédéral propose une réforme de l’assurance vieillesse avec des mesures d’économie et une augmentation des recettes. Les mesures d’économie sont en particulier la hausse de l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans, ainsi qu’une flexibilisation de l’âge de la retraite entre 62 et 70 ans. Une génération transitoire est prévue pour les femmes qui approchent aujourd’hui de l’âge de la retraite, afin que la réforme ne les touche pas de plein fouet. L’augmentation des recettes doit être atteinte avec un encouragement à travailler au-delà de 65 ans et une augmentation de la TVA de 0,7%. Le projet est actuellement en discussion au Conseil des États.

Les débats qui ont lieu au Conseil des États concernent une proposition modifiée par la commission de la sécurité sociale et de la santé publique. Cette commission a décidé de soutenir la proposition du Conseil fédéral d’augmenter le l’âge de la retraite des femmes. Mais elle a aussi réduit la taille de la génération transitoire, ce qui fait que plus de femmes seront directement impactées par la réforme. Elle a aussi ajouté un supplément de 5% des rentes de couple.

Qu’est-ce que cela signifie et pourquoi c’est inacceptable

Première raison : les mesures d’économie se font uniquement sur le dos des femmes : cette réforme, c’est 10 milliards d’économie entre 2022 et 2031, que seules les femmes vont devoir porter. D’autant plus inacceptable que les femmes sont désavantagées tout au long de leur carrière et finissent leur vie avec des retraites moins grandes que les hommes.

Tout d’abord, le travail rémunéré et non rémunéré est inégalement réparti entre les hommes et les femmes, qui ont moins accès au travail salarié. Un quart des mères ne sont pas professionnellement actives, contre seulement 5% des pères, et 6 femmes actives sur 10 occupent en Suisse un temps partiel contre 2 hommes sur 10. Cela signifie aussi des rentes plus basses et même pour certaine aucune cotisation pour le 2ème pilier.

Et si ce sont les femmes qui s’occupent des enfants, c’est d’abord parce que c’est le rôle que leur assigne une société encore patriarcale, mais c’est aussi parce que c’est souvent elles qui ont les salaires les plus bas !

Les inégalités des salaires persistent : selon les dernières statistiques, la différence salariale entre hommes et femmes a même augmenté : elle a passé de 18.3% en 2016 à 19% en 2018. Une part importante de cette inégalité, n’est objectivement pas explicable. Cela représente CHF 684.- par mois de moins perçue par les femmes dans le secteur privé et 602.- dans le secteur public ! Et c’est autant de cotisation en moins pour la retraite future.

Les travailleurs pauvres sont souvent des travailleuses : les femmes occupent presque les 2/3 des postes avec un salaire brut à plein temps inférieur à ce qu’on considère en Suisse comme un bas salaire, c’est à dire CHF 4’359 par mois.

Donc les femmes gagnent moins, et cela a des conséquences directes sur leurs rentes. Les rentes des femmes sont en effet plus basses, en particulier dans le 2ème pilier : la rente médiane vieillesse pour les femmes est de CHF 1165.- contre 2217.- pour les hommes, alors que le versement en capital médian pour les femmes est de CHF 56800.- contre 138’000.- pour les hommes, presque trois fois plus élevé.

Donc les femmes souffrent toute leur vie d’inégalités flagrantes et cela s’aggrave au moment de la retraite. À ces inégalités économiques, on peut rajouter que les femmes assument encore aujourd’hui 70% des tâches ménagères et ont donc une vie de travail, salarié et non salarié, plus lourde. Si on veut de l’égalité dans la retraite, il faut régler cette montagne d’inégalités plutôt que de commencer par l’instaurer en défaveur des femmes en les faisant travailler une année de plus et assumer l’assainissement de l’AVS.

Deuxième raison : augmenter l’âge de la retraite des femmes correspond à une augmentation du temps de travail, à un moment où on doit justement penser à le diminuer généralement pour des raisons de santé et pour favoriser la transition climatique.

En 2003 déjà, le Conseil fédéral proposait par la voix de Pascal Couchepin d’augmenter l’âge de la retraite à 67 ans pour tout le monde. Les Jeunes PLR sont en train de récolter une initiative pour une retraite à 66 ans pour tout le monde. Augmenter de l’âge de la retraite des femmes n’est qu’un premier pas pour l’augmenter chez tout le monde. Mais pour la population, c’est aussi l’occasion de dire qu’elle ne négociera pas sur ce point !

Cette réforme se base sur 3 mythes à démonter

Premier mythe : l’augmentation de la durée de vie force à augmenter l’âge de la retraite. Il faut tout d’abord dire que nous n’allons pas vivre jusqu’à 150 ans et que la durée de vie a maintenant tendance à s’aplatir, et même à se réduire dans certains pays pour des raisons de santé. Mais on doit ajouter à cela que tout le monde ne voit pas sa durée de vie s’allonger, et encore moins augmenter son nombre d’années de vie en bonne santé.

Les différences de revenus ont en effet une influence sur la santé : les personnes à plus faible revenu ont une santé moins favorable que les personnes à plus haut revenu. Or ce sont justement ces bas revenus qui pourront le moins prendre une retraite anticipée. Cela implique que les personnes à haut revenu, qui meurent moins vite, profitent plus longtemps des prestations de la retraite tout en recevant des retraites plus élevées.

Vieillir en bonne santé est donc plus difficile pour les retraités touchés par la pauvreté que pour les autres, les retraités dans deuxième pilier disent avoir plus souvent des problèmes de santé que les autres et doivent parfois renoncer à des prestations nécessaires pour des raisons financières. De plus, si les femmes vivent un peu plus longtemps que les hommes, elles profitent du même nombre d’années de vie en bonne santé.

Donc, quand on regarde précisément ce qu’il se passe dans la population qui arrive à la retraite, l’espérance de vie ne peut pas être un facteur déterminant pour l’âge de la retraite. D’autant plus que la moyenne est d’un peu moins de 68 ans d’année de vie en bonne santé, soit 3 ans après la retraite !

Deuxième mythe : l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes est inévitable pour « sauver l’AVS »

C’est faux ! Cette augmentation ne va contribuer que très marginalement au financement de l’AVS. Par contre, pour chaque femme touchée, c’est une année de retraite en bonne santé en moins.

Troisième mythe : l’AVS a un problème structurel de financement, c’est pour cela qu’il faut réduire les prestations.

L’AVS est au contraire une assurance sociale forte, qui fonctionnement bien et qui résiste aux épreuves. Alors que des pertes sont systématiquement prédites pour l’AVS, il s’avère qu’elle a plus régulièrement fait des résultats excédentaires ces dernières années, notamment en 2019 (1’682 millions de bénéfice) et en 2017 (1’087 millions de bénéfice).

Alors certes, les dépenses annuelles dépassent actuellement la fortune de l’AVS, mais c’est conjoncturel : c’est l’effet du baby-boom. Or, l’Office fédéral des assurances sociales estime que les conséquences du baby-boom vont se terminer vers 2030-2035, et cela ne prend pas en compte les pertes importantes dans la population séniore dues au coronavirus. Nous devons donc passer l’épaule jusqu’en 2030-2035, ce que les réserves de l’AVS permettraient de faire même sans réforme.

Nous voulons renforcer l’AVS au lieu de l’affaiblir

Mais nous ne voulons pas ne rien faire ! Nous voulons au contraire que l’AVS, qui est l’assurance vieillesse la plus juste, la plus égalitaire et la plus solidaire, reste forte et nous voulons même qu’elle soit plus généreuse. Donc, nous avons des solutions pour augmenter les revenus de l’AVS.

Il faut payer les gens correctement ! L’AVS est financée par les cotisations des employeurs et des employés sur les salaires. Une augmentation des salaires représente automatiquement une augmentation des cotisations pour l’AVS. D’abord, si les inégalités salariales étaient combattues sérieusement et donc que les salaires des femmes étaient les mêmes que ceux des hommes, cela représenterait chaque année CHF 750 millions de revenus en plus pour l’AVS.

Ensuite, la valeur des salaires en Suisse ne suit pas le coût de la vie, ni la productivité. Les salaires n’ont par exemple pas augmenté autant que des loyers et encore moins celle des primes maladies. Dans un pays riche dont presque 10% de la population vit pourtant dans la pauvreté alors que le taux de chômage est au plus bas, il devient urgent de regarder en face l’augmentation du nombre de working poor et de prendre des mesures pour leur vie active et leur retraite. Augmenter les salaires est donc une mesure urgente sur le court terme et bénéfique sur le long terme. Pour finir, intensifier la lutte contre le marché noir revêt une importance toujours plus grande, encore plus à l’aube de nouvelles bilatérales avec l’Union européenne.

Il serait aussi possible d’équilibrer les dépenses avec une (1) augmentation des cotisations de seulement 0,3 point OU, afin d’affronter cette situation conjoncturelle liée au babyboom, nous pourrions (2) solliciter un don de 25 milliards de la BNS (qui a des réserves bien au-delà des besoins et bien supérieur à son obligation légale de 100 milliards, OU, afin de régler ce problème du financement, nous pourrions aussi simplement (3) utiliser le moyen le plus juste et le plus solidaire pour financer les services publics : l’impôt.

Ce serait plus malin que de taxer le travail ou d’acheter des avions militaires de combat luxueux et inutiles.

Pour des retraites dignes

Mais ces solutions ne permettraient que d’assurer les dépenses actuelles de l’AVS. Or, le système des retraites dans son entier a bel et bien un problème, un immense problème : les retraites ne suffisent pas ! Pour beaucoup, des femmes en particulier, la retraite est synonyme de pauvreté.

Selon la Constitution, l’AVS « doit couvrir les besoins vitaux de manière appropriée ». Or les rentes sont trop basses pour que cette obligation constitutionnelle soit respectée : la rente est de maximum CHF 2390.- alors qu’en médian c’est CHF 1838.-  et que la moitié des personnes reçoivent CHF 1777.- ou moins. Une personne sur 10 a donc besoin des prestations complémentaires pour vivre. De plus, nos rentes perdent de la valeur car elles n’ont pas augmenté autant que les salaires et que les coûts, notamment les primes d’assurance maladie

Le deuxième pilier est donc indispensable non seulement pour maintenir son niveau de vie existant avant la retraite, mais désormais aussi pour couvrir les besoins vitaux. Mais là aussi il y a de gros problèmes ! Le montant des rentes LPP n’arrête pas de baisser, alors qu’on cotise plus. Ce système est donc incertain et antisocial. En plus, il est climatiquement irresponsable : les caisses de pensions investissent massivement dans des fonds carbones, ainsi que les armes. À cela s’ajoute le fait que les coûts administratifs sont très hauts, plus de 2x plus élevé que pour l’AVS. On estime à CHF 391.- de frais administratifs par assuré et par année, montant pris sur nos cotisations. Les femmes sont en plus particulièrement mal loties avec la LPP : un tiers des femmes n’ont pas de LPP (44% selon les calculs de la Grève des femmes*), donc doivent se contenter des rentes misérables de l’AVS (vous vous souvenez, les CHF 1777.- par mois dont on parlait). En plus, les rentes LPP des femmes sont en moyenne 50% inférieures à celles des hommes.

Pour une fusion du premier et du deuxième pilier

En résumé, le premier pilier est (1) obligatoire, il fonctionne sur un (2) mécanisme de solidarité fort qui s’assure que les salaires élevés paient plus et que les salaires bas paient moins et il (3) reconnait les tâches éducatives et d’assistance et prévoit un splitting pour les couples, qui du coup touchent la même rente. Le deuxième pilier par contre est obligatoire seulement à partir d’un certain montant et constitue une capitalisation personnelle. Ainsi, la LPP pèse lourd sur les revenus modestes sans leur assurer des retraites satisfaisantes.

Nous proposons dès lors de fusionner l’AVS et la prévoyance professionnelle : en transférant les cotisations salariales et patronales pour la LPP dans l’AVS, elles viennent enrichir un pot commun et solidaire où les rentes AVS « coûtent » moins aux plus pauvres et plus aux plus riches. La prévoyance personnelle reste toujours possible avec le 3ème pilier. Nous proposons aussi de renforcer le pilier social de l’AVS avec une 13ème rente, comme un 13ème salaire. Une 13ème rente permet d’éviter des situations de précarité et de vivre dignement. Une initiative est en train d’être récoltée et propose de financer ce supplément avec la BNS ou une augmentation des cotisations.

Il faut plutôt baisser l’âge de la retraite

Pour finir, il y a un objectif collectif à atteindre : au lieu d’augmenter, nous devons plutôt baisser l’âge de la retraite pour tout le monde !

Par exemple d’abord à 64 ans pour les hommes aussi, puis 63 ans pour tout le monde, avec la possibilité d’une retraite anticipée dès 60 ans. Nous arrivons ainsi à l’égalité de l’âge de la retraite tant demandé par les partisans de la réforme AVS21 et nous luttons contre le chômage des séniors. Nous reconnaissons ainsi le travail non rémunéré assumée par les jeunes retraité·e·s, en particulier la garde des enfants, dont un sur trois sont gardés par les grand-parents, mais aussi des proches aidant·e·s. Nous profitons ainsi de plus d’années de retraite en bonne santé, d’une vie qui ne se résume pas à gagner de l’argent sans avoir de temps pour le dépenser, mais surtout sans temps pour soi et les autres.

Nous devons baisser le temps de travail de manière générale, car nous avons besoin de temps pour s’occuper de nous-même et de nos proches, mais aussi pouvoir mettre en œuvre les transformations d’habitudes indispensables à la transition climatique.