Le 24 mai dernier, j’étais l’unique représentante de la mobilité douce dans le panel des oratrices et orateurs du Forum des 100 2018 (organisé par Le Temps), consacré pourtant à « la mobilité de demain » (la vidéo de mon intervention). Entre voitures autonomes et trains volants, les transports, les infrastructures, ainsi que le trafic et sa fluidité n’ont été compris que sous l’angle du transport motorisé. Comme trop souvent en Suisse!
La mobilité douce, parent pauvre de la politique des transports suisse
En Suisse, la mobilité douce est, malgré les objectifs affichés de la Confédération et des Cantons, laissée à la seule responsabilité des communes. Les conditions de déplacement des cyclistes et des piéton-ne-s sont donc très inégales selon les localités et globalement insatisfaisantes.
Les voies dédiées aux piéton-ne-s et aux cyclistes restent une denrée rare ; les nouveaux projets routiers et autoroutiers renforcent encore l’attractivité de la voiture au détriment de ses alternatives ; le Conseil fédéral a balayé la distance de dépassement minimale des vélos, bien que 10% des accidents ont lieu dans de telles situations ; 12% seulement des mesures mobilité douce du PALM sont réalisées ; on recense 8 millions ( !!) de place de parc dans notre pays ; un tiers des déplacements en voiture des Vaudois-es ne dépassent par 3km et deux tiers 10km ; …
Évidemment, des villes font des efforts à souligner. Mais même au sein d’une même commune, des projets peuvent être excellents et d’autres mauvais (voir les prix Pro Vélo et actif-trafiC à ce sujet). Le problème, c’est que la marche et le vélo ne sont pas considérés comme des transports à part entière et héritent donc de la part la plus congrue de l’espace public. Cela engendre alors des problèmes de cohabitation et n’encourage pas les voyageurs/euses à emprunter ces modes actifs. Pourtant, le nombre de ménages sans voiture augmente (près de la moitié à Lausanne par exemple !) et les bienfaits de la mobilité douce ne sont plus à démontrer : pour la santé, pour l’environnement, pour la sécurité, pour la convivialité et pour le partage de l’espace public.
Copenhague, l’exemple à suivre
La capitale danoise, en centrant sa mobilité sur les modes actifs et leurs liens avec les transports publics, est passée d’une ville sans tradition d’usage convivial de l’espace public à un exemple dont il serait bon de s’inspirer. En effet, grâce à la mobilité douce, Copenhague a vu le comportement de ses habitant-e-s changer vers plus de lien social.
Ses outils : des objectifs chiffrés (+5% de piéton-ne-s par année) et mesurés ; -1% de place de parc par année ; des cours de marche pour les enfants ; la plus grande zone piétonne et cyclable d’Europe ; la possibilité de traverser les cours et bâtiments privés pour en faire des raccourcis ; une claire séparation entre les flux cyclistes et piétons ; 30 à 40% des axes de mobilité dédiés aux mobilités douces et aux interfaces pour monter dans les transports publics.
Avec des résultats bluffants, puisque Copenhague recense la population la plus cyclistes d’Europe et une augmentation de 25% de circulation piétonne en 5 ans. En parallèle, les activités récréatives et sociales ont triplé en centre-ville et les visiteurs y passent trois fois plus de temps qu’auparavant. On a donc assisté, grâce à l’aménagement de l’urbanisme en faveur de la mobilité douce, au développement d’une nouvelle culture d’utilisation intensive de la ville. Copenhague donne ainsi l’exemple d’une spirale positive dont les villes suisses feraient bien de s’inspirer !
On peut aussi citer Berlin, où j’ai vécu à vélo, parce que la circulation est pensée pour une vraie cohabitation entre tous les modes de transport. Ou Vienne ou Madrid, qui mènent des politiques de fermeture de rues à la circulation automobile pour augmenter sa zone piétonne.
Objectif slowtown !
La grande crainte affichée par les pouvoirs publics et les transporteurs/euses est de ne pas pouvoir répondre à la demande sans cesse en augmentation des infrastructures pour se déplacer plus vite plus loin.
Cependant, s’il est vrai que la demande en mobilité augmente, la majorité des déplacements se fait toujours sur de petites distances. Dans ce cadre, on est donc très loin d’avoir exploité le potentiel de la mobilité active et sa complémentarité avec les transports publics.
De plus, l’augmentation de la demande en transport ne peut pas se faire de manière linéaire pour toujours. Les gens ont en marre d’être pris dans la pression des déplacements : faire plusieurs heures de trajet en voiture ou en train pour aller travailler et revenir ne fait rêver personne. Le nombre de burn out, notamment à cause des trajets, est en augmentation. La demande de télétravail et de temps partiels se fait toujours plus grande. Se recentrer, prendre plus de temps pour soi et sa famille font partie des objectifs prioritaires avec lesquels la vie professionnelle doit maintenant être urgemment conciliée.
Polariser nos villes et localités sur la mobilité douce, c’est aussi relocaliser les pendulaires et en finir avec la tyrannie du toujours plus loin. C’est concevoir des villes plus humaines, avec une population plus active physiquement, un air plus respirable et plus de liens sociaux. Il s’agit donc de corréler urbanisme et mobilité en faisant la part belle aux modes actifs, pour favoriser des villes mixtes, la proximité et la vie de quartier. Sans oublier les zones commerciales et industrielles, nous voulons partout où nous devons nous déplacer des réseaux piétonniers et cyclables sûrs, attractifs et continus.
Les enjeux sont importants : la santé, la convivialité, l’environnement, la sécurité et la qualité de vie seraient tous impactés favorablement par un développement de la mobilité douce ambitieux et à la hauteur de «la mobilité du futur»!