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Intervention : pour que la Suisse ne soit pas complice de répressions de la démocratie

L’exportation de matériel de guerre, de biens à double usage, de matériel de guerre spécifique et de prestations de sécurité privée par la Suisse est globalement problématique, car ces exportations mettent en péril non seulement notre neutralité, mais aussi notre sécurité si nous sommes identifiés comme participant à un conflit pour tel ou tel parti à qui nous vendons des armes. Ces exportations mettent aussi en péril notre légitimité à offrir nos bons offices. L’affaire Crypto est plus qu’exemplaire dans ce domaine, mais nous pouvons aussi citer Pilatus qui forme les pilotes de l’Arabie Saoudite (en guerre contre le Yémen au prix d’une guerre meurtrière pour les civiles) ou qui vend des avions au Tchad, ensuite transformés pour y ajouter des réservoirs supplémentaires et des bombes. Citons encore les grenades suisses trouvées en Syrie en 2018. Ce ne sont que quelques exemples qui montrent que le système de contrôle suisse n’est pas suffisant et que nous devons le renforcer à tous les niveaux.

C’est pour cela que la modification proposées par le Conseil fédéral va dans le bon sens: intégrer dans la loi sur les permis d’exportation des biens à double usage (civile ou militaire) ceux qui permette le contrôle d’internet et des télécommunications, pour qu’ils ne soient pas utilisés à des fins de répression par les pays qui les achètent. J’ai soutenu cette modification pour les Vert·e·s, mais j’ai aussi essayé de compléter le travail du Conseil fédéral afin que, d’une part, que le respect des droits fondamentaux soit un critère indiscutable dans l’attribution, ou non, d’une autorisation d’exporter de la technologie suisse, et d’autre part que ce nouveau critère justifie des refus de permis pour tous les biens à double-usage, militaires spécifiques et les biens stratégiques, selon une clause “attrape-tout”, à laquelle le Conseil fédéral a malheureusement renoncé après y avoir lui-même réfléchi. Comme son nom l’indique, cela permettrait de nous assurer que la Suisse ne vend aucune technologie pouvant in fine être utilisée à des fins de répression ou de violation des droits humains.

Au cours de la période allant de la mi-2014 à la mi-2019, des exportations de biens à double usage d’un montant total d’environ 85 millions de francs suisses ont été approuvées. Moins de 2% des demandes ont été rejetées par le SECO (1,5 million de francs). Or, il faut savoir que les principaux pays acheteurs de ces marchandises sont le Pakistan (pour environ 17 millions), le Koweït (pour environ 15 millions), l’Indonésie (pour environ 13 millions), le Vietnam (pour environ 12 millions) et le Qatar (pour environ 6 millions). Voyons ce que le rapport sur les droits humains d’Amnesty, pour la période 2017 et 2018 nous en dit:

Parlons du Pakistan: la répression de la liberté d’expression s’y est encore intensifiée. La Loi relative à la prévention de la cybercriminalité adoptée en 2016 a été utilisée pour intimider, harceler et arrêter arbitrairement des défenseurs des droits humains en raison de commentaires publiés en ligne.

Parlons du Koweit: les autorités ont continué de restreindre abusivement l’exercice de la liberté d’expression, notamment en poursuivant en justice et en emprisonnant des détracteurs du gouvernement et en interdisant certaines publications. Les tribunaux ont prononcé des condamnations à mort, et les exécutions ont repris après une interruption de quatre ans.

Parlons de l’Indonésie: les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association font l’objet de restrictions arbitraires. Des dispositions sur le blasphème ont été utilisées pour emprisonner des personnes exerçant pacifiquement leur droit à la liberté de religion et de conviction. Au moins 30 prisonniers d’opinion étaient toujours en détention pour avoir exercé pacifiquement leurs droits à la liberté d’expression ou de religion et de conviction.

Parlons du Vietnam: la répression contre la dissidence s’est intensifiée, poussant de très nombreux militants à fuir le pays. Des défenseurs des droits humains et des militants politiques pacifiques ont été la cible de diverses violations des droits humains. Des prisonniers d’opinion ont été torturés ou autrement maltraités. Des décès suspects en garde à vue ont été signalés et la peine de mort était toujours en vigueur.

Parlons du Qatar: la liberté d’expression faisait l’objet de restrictions injustifiées. Les personnes qui cherchent à obtenir justice dans des conflits du travail concernant le non-versement de salaires doivent attendre des mois pour que leur dossier soit traité ; des centaines d’entre elles ont été finalement contraintes de rentrer dans leur pays sans avoir été payées. Les femmes étaient soumises à des discriminations dans la loi et dans la pratique. Les tribunaux continuent à prononcer des condamnations à mort.

Voilà les meilleurs clients de la Suisse… La honte!

Or, en réponse à ma question, le Conseil fédéral ne peut pas exclure que les biens à double usage actuellement exportés par la Suisse ne sont en aucun cas utilisés à des fins de répression. Nos modifications étaient donc indispensables, mais elles ont été refusées par la majorité du Parlement, qui se fait chantre de la démocratie mais se lave les mains lorsque la technologie suisse est utilisée pour poursuivre, enfermer, torturer, assassiner celles et ceux qui défendent la démocratie ailleurs. Nous n’en faisons pas de même et je continuerai à lutter contre l’incurie de la Suisse dans la politique d’exportation de matériel utilisés à des fins militaires.

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