Cette nuit, à 3h du matin, cela fera 25 ans que ma maman nous a réveillé mon frère et moi – il avait 3 ans et j’allais en avoir 5 – en pleine nuit, terrifiée, pour suivre les pompiers et fuir notre maison le plus vite possible. Nous habitions alors sous la gare de Lausanne. Un train de 13 wagons avait déraillé, 4 d’entre eux contenaient des produits dangereux: de l’épichlorhydrine, charmant composé connu pour être hautement inflammable et toxique en cas d’inhalation, contact avec la peau ou ingestion, s’échappe des containers. 3000 personnes sont, comme nous, évacuées.
Depuis, on ne peut pas dire que la situation des riverains et riveraines des gare vaudoises se soit beaucoup améliorée.
« Chaque convoi expose quelque 840’000 personnes à un risque d’accident majeur » avaient clairement indiqué les Conseils d’Etat genevois et vaudois en 2016[1]. Pourtant en 2018, ce sont encore 21’000 tonnes de chlore qui ont traversé la région lausannoise selon un rapport publié le 14 février par la Confédération[2].
En mars 2015, le Grand Conseil vaudois avait soutenu (56 pour, 36 contre et 17 abstentions) une résolution verte visant à interdire le transport massif de chlore, considérant que les entreprises qui utilisent le chlore en grande quantité doivent le produire sur place[3].
En 2016, les principaux acteurs visant à réduire les risques liés au transport du chlore ont signé une déclaration conjointe (DC II). Cette déclaration a été signée par la Confédération, les CFF, l’association des chargeurs et l’industrie chimique, avec pour objectif de« réduire le risque d’un facteur dix d’ici à la fin 2018 »[4].
Le 14 février 2019, un rapport intermédiaire a été publié par la Confédération. Il considère que les objectifs de réduction des risques pour la première phase 2016-18 ont été atteints. En particulier, le chlore en provenance de France est transporté par train spécial à une vitesse maximale de 40 km/h vers le Valais. La fréquence d’un trajet par semaine est indiquée. Mais d’autres points sont non résolus :
- Une utilisation des wagons-citernes les plus sûrs actuellement disponible est prévue par la déclaration conjointe. Toutefois, le rapport indique qu’« entre 20 et 70 % des wagons utilisés pour l’importation satisfont aux nouvelles exigences ». Et que « toutes les importations de chlore ne pourront pas être effectuées à partir du 1er janvier 2019 avec les wagons-citernes actuellement les plus sûrs ».
- 432 obstacles sur le réseau ferroviaire pouvant endommager le réservoir d’un wagon-citerne et provoquer une fuite ont été identifiés. Leur élimination est évaluée dans le rapport à 6,5 millions de francs. La Confédération indique que la « proportionnalité de cette mesure a été remise en question. C’est pourquoi sa mise en œuvre a été temporairement suspendue ». Selon l’article du 24heuresdu 16 juin 2019 « La guerre du transport de chlore est relancée à Berne », ils ne seront éliminés que petit à petit dans le cadre de l’entretien courant des infrastructures ferroviaires, plutôt qu’en une seule fois.
- La Confédération constate que l’industrie chimique valaisanne n’a par elle-même aucun intérêt à produire localement. Par ailleurs, considérant que le prix de revient serait alors 3,4 fois plus cher, il indique « il n’est ni stratégique ni concurrentiel pour l’industrie valaisanne de produire localement aujourd’hui ».
- La convention prévoyait de renforcer l’approvisionnement depuis l’Italie par le Simplon, afin d’éviter de traverser la métropole lémanique. Sur ce point, le rapport est lapidaire : « l’augmentation de l’approvisionnement en chlore depuis l’Italie reste une ambition de l’industrie mais elle dépend également de l’évolution à long terme du marché et n’est pas quantifiable à l’heure actuelle ».
- Les quantités transitant par la région lausannoise ont diminué de 22’300 tonnes en 2013 à… 21’000 tonnes en 2018. Entre 2000 et 2014, la quantité de chlore traversant l’Arc lémanique a augmenté de 250%. Pourtant, le rapport considère que « l’introduction de restrictions de quantités pour le transport de chlore n’est pas nécessaire ».
De manière à peine voilée, la Confédération indique que la pratique ne changera pas tant qu’aucun accident tragique ne la pousse à légiférer. Dans le rapport, la Confédération explique en effet : « ces conditions-cadres sont susceptibles d’évoluer à moyen terme. La pression publique pourrait rapidement augmenter, par exemple en cas d’accident ferroviaire impliquant du chlore, en Suisse ou dans un pays frontalier. La Suisse se retrouverait alors dans un débat politique animé, forçant le gouvernement à prendre des mesures fortes. »[1]Pour rappel, la DC II a été signée suite au déraillement d’un train transportant des matières dangereuses à Daillens en avril 2015…
Les gouvernements genevois et vaudois ont pris position en 2016 suite à la signature de la DC II considérant que cet accord était un premier pas. « Pour Genève et Vaud, la fabrication de chlore au plus près de son utilisation par l’industrie chimique valaisanne reste également une priorité, dans le respect des besoins des entreprises concernées et en partenariat avec elles »[2].
Pour faire suite à cette déclaration, et face à l’inaction crasse du Conseil fédéral, j’ai posé plusieurs questions au Conseil d’État vaudois, qui semble être le seul sur qui nous pouvons compter. Je lui demande notamment comment il compte s’engager pour atteindre une réduction des risques à la source et une nette diminution des quantités de chlore transportées.