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L’avortement, une question de santé publique !

Le 2 juin 2022, la Suisse a fêté les 20 ans du régime de délai. Or, en Europe comme aux USA, le droit à l’avortement est précaire et régulièrement mis en danger. En Suisse aussi avec les initiatives portées par l’UDC et les positions du Centre. Il était donc nécessaire de garantir, confirmer et renforcer ce droit fondamental. 

C’est la raison pour laquelle j’ai déposé une initiative parlementaire pour que l’avortement soit considéré comme une question de santé et non plus une affaire pénale. Cette proposition regroupe des soutiens de droite comme de gauche. 

Le droit à l’avortement en Suisse

Actuellement le droit à l’avortement est régi, en Suisse, par le code pénal (art. 118, 119 et 120 du Code Pénal). Il s’agit donc d’une « infraction sauf exception ».

Notre droit à l’avortement est en parti dépénalisé depuis 20 ans par l’adoption, en 2002, du régime de délai permettant une interruption volontaire de grossesse (IVG) jusqu’à 12 semaines à compter du 1er jour des dernières règles ou selon évaluation échographique art. 119 al 2 CP.  Après ce délai, elle reste possible et légale, si le·la gynécologue démontre qu’elle est nécessaire pour écarter le danger d’une atteinte grave à l’intégrité physique ou d’un état de détresse profonde de la personne enceinte.

Aucun délai de réflexion ne peut être imposé à la personne enceinte. L’avis d’un deuxième médecin n’est pas exigé. La personne enceinte doit faire sa demande, en invoquant une situation de détresse, et donner son consentement libre et éclairé, par écrit et en personne. Elle signe le formulaire ad hoc, à conserver dans le dossier médical de la femme chez le·la gynécologue prescrivant ou pratiquant l’IG. Celui-ci/celle-ci a l’obligation légale de déclarer l’IG au moyen du formulaire en ligne de l’Office fédéral de la statistique (OFS). Ces démarches sont les mêmes que l’IVG soit une décision volontaire ou que ce soit pour répondre à une urgence médicale.

Statistiques

Le taux d’interruptions de grossesse en Suisse est bas en comparaison internationale. Après avoir suivi une baisse depuis 2010, ce taux a augmenté depuis 2017, passant de 6,2 à 6,8 interruptions pour 1 000 femmes résidant en Suisse. Le taux d’interruptions de grossesse en 2020 s’apparente donc à celui de 2010. Ce taux n’a pas augmenté suite à l’adoption du régime de délais, contrairement aux prévisions des milieux anti-avortement.

Le régime du délai a été fortement défendu par le corps électoral, qui a rejeté en 2014, à une nette majorité de 69,8 %, une initiative visant à supprimer la prise en charge des coûts par l’assurance maladie. La mise en œuvre du régime du délai introduit le 1er octobre 2002 et le système de santé actuel ont donc fait leurs preuves.

Obstacles actuels

Malgré la légalisation du droit à l’avortement, il reste encore, en Suisse, des obstacles et des discriminations dans l’accès à l’avortement, en particulier pour les personnes en situation de pauvreté, les réfugiées, les personnes en situation de handicap, les jeunes et d’autres personnes qui sont vulnérabilisées dans leur santé sexuelle.

Malgré la couverture de l’assurance maladie, il existe également des obstacles financiers à l’interruption de grossesse pour les groupes de population qui ont des difficultés à payer la franchise et la quote-part de l’assurance maladie ou qui ne bénéficient pas de l’assurance maladie.

De nombreux prestataires de soins manquent de confiance et d’expérience. Comme le sujet est sensible et qu’il est stigmatisé par le code pénal, l’information et la formation à ce sujet dans les hôpitaux sont souvent insuffisantes. Souvent, la procédure d’interruption de grossesse en Suisse est peu claire. Cette situation pénalise tous les groupes de population.

Il peut y avoir aussi des barrières linguistiques en l’absence de services de traduction, qui dans certains cas sont une condition préalable à la communication, à la compréhension et au consentement éclairé.

Il y a aussi de la stigmatisation sociale liée au code pénal, lorsque des professionnelles de la santé donnent des opinions morales, plutôt que de fournir un service de santé.

Une loi spécifique ou une loi portant sur la santé sexuelle

Face à cette réalité, et avec la Fondation Santé Sexuelle Suisse qui regroupe les professionnel·les de la santé sexuelle en Suisse, j’ai déposé une initiative parlementaire pour demander que l’avortement soit d’abord considéré comme une question de santé et non plus une affaire pénale. Cette initiative a pour but d’inscrire le principe du régime du délai dans une loi spéciale ou dans une loi sur la santé sexuelle au sens large ou dans le domaine de la santé publique. L’objectif de cette loi est notamment de promouvoir l’autodétermination des personnes dans le domaine de la santé et d’éliminer les obstacles à son exercice. L’infraction visée à l’article 118, paragraphe 2, reste inscrite dans le Code pénal.

Quelle nécessité ? 

Voici les raisons qui plaident en faveur de la suppression de l’interruption de grossesse du Code pénal  : 

  • Actuellement, l’interruption de grossesse relève du droit pénal et n’est qu’en second lieu une question d’autodétermination ou une décision de santé prise par la personne concernée avec un·e professionnel·le de la santé. La loi et la pratique sont donc en contradiction, ce qui nuit au droit à l’autodétermination et favorise la stigmatisation.
  • L’interruption de grossesse est régie par les articles 118 et suivants du Code pénal (CP). Cela signifie qu’elle est en principe punissable et qu’elle n’est autorisée qu’à certaines conditions (articles 119 et suivants). Du point de vue de la systématique législative, l’interruption de grossesse est réglée juste après le chapitre sur l’homicide. L’inscription d’une réglementation dans le CP déploie un effet normatif dans la conscience juridique générale. Il est sous-entendu que l’interruption de grossesse est un comportement socialement préjudiciable qu’il convient de réprimer autant que possible.
  • La loi pénale stipule qu’une personne enceinte doit dans tous les cas faire valoir une situation de détresse lorsqu’elle décide d’interrompre sa grossesse. Cette règle s’applique également pendant les douze premières semaines. Cela signifie une mise sous tutelle de la personne enceinte, qui n’est pas censée prendre une décision après avoir évalué elle-même la situation. La loi ne lui attribue pas de véritable droit à l’autodétermination. Au lieu de cela, la loi part du principe que la personne enceinte se trouve obligatoirement dans une situation de détresse lorsqu’elle interrompt sa grossesse. L’interruption de grossesse est donc un acte punissable qui ne peut être justifié que par l’existence d’une situation de détresse. Cela a un effet fortement stigmatisant.
  • La réglementation suisse en matière d’interruption de grossesse dans le Code pénal est en contradiction avec les directives de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les recommandations de l’OMS à propos de l’avortement, publiées en 2022, sont claires : l’interruption de grossesse doit être totalement décriminalisée et supprimée du droit pénal. Les avortements forcés doivent rester punissables, car ils sont pratiqués contre la volonté de la personne et constituent une atteinte à l’intégrité corporelle. Selon l’OMS, la criminalisation de l’avortement entraîne des obstacles inutiles, des contraintes tant pour la personne enceinte que pour le personnel de santé, des dépendances et une stigmatisation.

Quelle suite?

Afin de soutenir cette dépénalisation complète Santé Sexuelle Suisse a lancé une pétition « Ma santé – Mon choix ! » pour demander la suppression de l’avortement du code pénal et pour un meilleur accès à ce droit fondamental. Elle a été déposée le mardi 31 janvier, avec plus de 11’000 signatures. C’est au Parlement maintenant de se décider, avec un débat en commission des affaires juridiques du Conseil national le 2 février 2023, puis soit au Conseil des États (si la commission soutient ma proposition) soit au plénum du Conseil national (si la commission refuse l’initiative).

Pour suivre la vie de cette proposition, suivez les réseaux sociaux de Santé sexuelle Suisse (Twitter et Instagram) ou les miens (dans le pied de page).