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Certificat COVID, un échec démocratique?

La stratégie vaccinale de la Suisse a été définie par le Conseil fédéral en décembre 2020, avec pour objectif principal de réduire le nombre de cas graves et de décès tout en protégeant notre système de santé. L’objectif secondaire est d’atteindre une couverture vaccinale suffisante pour la réouverture générale des activités.

Ainsi, la campagne de vaccination en Suisse bat son plein. Début juin (7 juin), 5 151 927 doses de vaccin avaient été administrées pour 1 908 439 personnes entièrement vaccinées, 22,8 % de la population suisse. Néanmoins, de grandes disparités sont présentes entre les générations: 74% chez les plus de 80 ans, mais 5,2% pour les 20-29 ans.

Source : https://www.covid19.admin.ch/fr/epidemiologic/vacc-persons

En Suisse, il n’existe pas de registre de vaccination. Un certificat de vaccination imprimé est remis à la personne vaccinée, mais ce n’est qu’une simple attestation médicale et non pas un document officiel. En mars 2021, le Parlement a modifié la loi COVID-19 afin de créer une base légale suffisante permettant le développement d’un certificat sanitaire uniforme et infalsifiable, qui concerne les personnes vaccinées, mais aussi guéries et pourvues d’un test négatif récent. Néanmoins, les débats parlementaires se sont principalement concentrés sur l’opportunité de créer ou non la base légale. Ainsi, la loi n’indique pas à quoi il va servir, ni les critères selon lesquels il peut être utilisé à l’intérieur du pays. Seule la mention de la possibilité de voyager (“entrer dans d’autres pays et en sortir”) est présente dans l’article de loi.

Dans les faits, le Conseil fédéral envisage trois strates d’action (ou d’absence d’action) du certificat sur le territoire suisse, appelées “domaine” vert, orange et rouge, annoncée le 19 mai. Le domaine vert est celui dans lequel, l’utilisation du certificat est exclue. Ce domaine comprend les lieux quotidiens comme les transports publics, les écoles, les magasins ou les lieux de travail. 

Le domaine orange quant à lui permet une utilisation facultative ou dans un but d’éviter des fermetures. Il s’agit, selon les exemples du CF, les bars et restaurants, les événements, les établissements de loisirs, de sport et de divertissement, les clubs sportifs et culturels ou les visites d’hôpitaux et de maisons de retraite. Sont réservés les rapports de droit privé qui permettraient aux entités de ce domaine de limiter l’accès de ses client·e·x·s aux personnes munies d’un certificat COVID afin de renoncer à son plan de protection, au port du masque ou à d’autres restrictions quantitatives. 

Finalement, le domaine rouge concerne le transport international de personnes en voyage et les lieux sensibles d’un point de vue épidémiologique, comme les grandes manifestations ou les discothèques. L’utilisation du certificat est alors requise.

La stratégie du Conseil fédéral concernant l’application du certificat vaccinal se fait ainsi en trois « lumières », où IKEA est dans le même groupe que le service public (et donc épargné) et où les organisateurs·ices et institutions oranges doivent choisir entre des restrictions importantes ou imposer le certificat à leurs client·e·x·s et visiteur·euse·x·s.

Cette décision à des implications démocratiques fondamentales. Pour une partie des personnes opposées à ce certificat, on se dirige vers une société à deux vitesses: d’un côté le groupe qui peut justifier de ses données médicales, de l’autre celui qui ne veut ou ne peut pas. C’est que les questions éthiques sont en effet lourdes: s’agit-il de rendre des droits aux personnes qui ne présentent pas de risques épidémiologiques ou est-ce plutôt une discrimination des personnes qui ne peuvent pas rentrer dans cette catégorie? Devant la lourdeur, les difficultés d’accès et les obstacles logistiques aux tests COVID, n’est-ce pas une obligation vaccinale déguisée ou en tout cas une pression très forte?

D’un point de vue technique aussi de nombreuses questions se posent, de la protection des données au pouvoir donné aux personnes chargées de contrôler ce certificat dans les restaurants, théâtres, cinémas, etc. Pour beaucoup, devoir présenter un certificat pour aller boire un café, c’est se soumettre à la merci de la technique, et notamment de l’efficacité technologique de la Confédération, et à l’obligation de la posséder et de la maîtriser. Ce système augmente ainsi la dépendance au numérique et la fracture générationnelle dans l’utilisation des supports comme les smartphones.

Surtout, pour les personnes qui exploitent ces lieux, c’est le choix entre la peste et le choléra, pour reprendre les termes de Gilles Meystre, membre du comité directeur de GastroSuisse. De même, une partie des milieux culturels estiment  “qu’il ne nous appartient pas de trier nos publics selon les critères que la Confédération n’ose elle-même pas faire appliquer aux autres secteurs”. Pour les premiers comme pour les seconds, leur activité demande de pouvoir accueillir tout le monde, sans obliger les gens à justifier de leurs données médicales.

Le Conseil fédéral, qui se réfugie derrière le droit privé et la liberté économique, choisit ainsi de placer ces entreprises et institutions devant le choix difficile de la viabilité économique plutôt que du sens de leur activité, de leur vocation. Il choisit aussi de s’asseoir sur le principe de l’art. 35, al. 3 de notre Constitution, qui stipule que « les autorités veillent à ce que les droits fondamentaux, dans la mesure où ils s’y prêtent, soient aussi réalisés dans les relations qui lient les particuliers entre eux.»

Pour finir, de nombreux spécialistes de la santé, comme l’infectiologue Valérie d’Acremont (Unisanté), pensent que ce certificat est inutile pour ces secteurs d’activités. Ainsi, son instauration ne se fait pas sur des bases épidémiologiques, mais crée au contraire un appareil bureaucratico-économique, qui va tendre à s’auto-justifier, car la sécurité totale n’est jamais atteinte et que la solution du passeport pour “la vie d’avant” ou la “liberté” est alors ouverte.

Mais est-ce vraiment la liberté que de devoir justifier de son identité et de ses données médicales pour des activités quotidiennes comme boire un verre ou voir un match? Est-ce vraiment la liberté que de rétablir un contrôle aux frontières? Finalement, en endossant ce rôle utilitariste de pousser à la réouverture des activités, la vaccination passe d’un outil pour la sécurité des personnes et de notre système de santé à un outil pour relancer les activités économiques, culturelles et sportives.

Si le Conseil fédéral promet qu’il ne durera qu’un temps très court, rien ne le garantit dans les dispositions légales. Le débat démocratique a été par ailleurs très pauvre, offrant peu de prise à l’administration pour prendre des décisions en accord avec la population, ni à la justice pour faire son travail de manière proportionnée.

Un vrai débat démocratique sur une telle décision qui a de lourdes conséquences éthiques, économiques, politiques et techniques n’aura pas ou très peu lieu. Le Parlement a malheureusement refusé de suivre ma demande de faire une loi (comme nous l’avions pourtant fait pour SwissCovid). Voici donc ce qui peut être établi et demandé à ce stade:

  • Le certificat est un bon outil pour lever les mesures individuelles (en particulier la quarantaine), qui ne se justifient pas lorsqu’on est pas contagieux ;
  • Le certificat sera inévitable pour les voyages. En Europe par exemple, des projets sont à l’étude avec une volonté affichée de créer ce certificat d’ici l’été 2021
  • Afin que ce certificat ne soit pas une obligation vaccinale déguisée, les tests doivent être gratuits en tout temps, pour toutes les utilisations.
  • L’utilisation de ce certificat doit se faire sur la période de temps la plus courte possible!
  • La “zone orange” déterminée par le Conseil fédéral doit être abandonnée, le certificat ne doit concerner que les voyages, les grandes manifestations et les discothèques et soirées dansantes, là où le risque de contagion est très grand et où il est généralement prévu à l’avance de s’y rendre. J’ai déposé une proposition de modification de la loi COVID allant dans ce sens.