Chaque année, une petite ritournelle automnale est jouée par les compagnies d’assurance : celle de l’augmentation des primes. On nous explique que les coûts de la santé augmentent et que dès lors, les primes doivent suivre. Seulement, 62% du système de santé n’est pas financé par nos primes. Il se révèle donc que l’équation est plus complexe à résoudre : éclaircissements et pistes d’action dans cette note de blog.
Les coûts de la santé c’est quoi en fait ?
En Suisse, les coûts de la santé, depuis les années 2000, sont en augmentation constante arrivant à un total de 82.5 milliards de francs répartis entre les soins curatifs ambulatoires, ceux de longue durée ou encore les soins curatifs hospitaliers (voir schéma ci-dessous). A noter que, dans ces coûts, la prévention ne représente que 2.2% du total.
En rapport à notre produit intérieur brut (PIB), ces coûts représentent 11,3%. Depuis 1995, cela a augmenté de 2,7%. Et au niveau de l’OCDE, cela nous place à la troisième place des pays ayant un ratio dépenses/PIB le plus élevé. Un pays riche comme la Suisse peut se le permettre sans problème, notamment parce que cela s’accompagne d’une très grande qualité de soins et d’une couverture sanitaire (nombre d’hôpitaux par habitant·e par exemple) très haute. Mais les coûts doivent être répartis équitablement dans la population. Or, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Les primes maladies, ainsi que les quoteparts et tous les soins qui sont financés sans être remboursés pèsent très lourdement sur la classe moyenne, selon l’idée que la santé est individuelle et que c’est une affaire de responsabilité privée. Je réfute cette idée : la santé est d’abord une question collective et mérite que l’argent public y soit investi. Des investissements dans la santé et dans la qualité de vie qui permettent d’économiser beaucoup d’argent ailleurs.
Une augmentation qui vient d’où ?
Cette augmentation des coûts de la santé est, en fait, corrélée à de bonnes et de mauvaises raisons. Les meilleurs traitements et les progrès médicaux de même que le fait d’assurer des salaires décents au personnel de santé font parties des raisons objectivement bonnes qui entraîne une augmentation de ces coûts. En effet, dans le domaine de la santé, nous avons besoin de beaucoup de personnel qui se révèle peut automatisable et non délocalisable. Pour maintenir la qualité des soins, il sera donc toujours nécessaire de dépenser beaucoup.
A l’opposé, certains coûts de santé se révèlent être inutiles. On pensera, par exemple, au prix de médicaments qui coutent deux fois plus chers en Suisse qu’à l’étranger. Cette distorsion résulte de choix politiques et industriels. La pseudo-concurrence des caisses maladies entraîne aussi une augmentation des coûts absurde. En 2021, 50 compagnies d’assurance ont proposé encore l’assurance obligatoire des soins. Elles étaient 145 en 1996. Une diminution de la fausse concurrence actuelle souhaitable MAIS cette multiplication des acteur·trice·s (50 départements marketing, 50 loyers par ville, 50 salaires de CIO, etc) entraîne encore une charge d’exploitation, pour 2020, s’élevant à 1,58 milliard de francs. Le montant par assuré·e et par an représente 184 francs. Le pourcentage de ces coûts par rapport aux primes a légèrement augmenté par rapport à l’année précédente (2019), passant de 4,57% à 4,87%.
Les ménages privés, ces vaches à lait !
En 2019, les dépenses consacrées à la santé se sont élevées à 8858 francs par habitant·e·s. Les ménages ont financé prêt de 60% des dépenses de santé en 2020.
À elles seules, les primes des ménages à l’assurance maladie obligatoire ont couvert 37.9% des dépenses de santé. Lors de l’introduction de la loi sur l’assurance-maladie, elles n’en finançaient que 29,9%. Les primes augmentent donc aussi parce que nous finançons de plus en plus par le biais des primes. Si nous ne finançons toujours que 29,9% des soins de santé par le biais des primes, comme en 1996, les primes seraient aujourd’hui inférieures de 21%.
De plus, elles sont indépendantes du revenu (une directrice de banque paie autant qu’une vendeuse) et augmentent nettement plus que les revenus. Il n’existe aucune solidarité entre les hautes revenus et les familles modestes. Cela représente d’ailleurs un gros problème pour les personnes à bas revenus. On sait qu’environ 400 000 assuré·e·s font l’objet d’une poursuite parce qu’iels ne peuvent pas payer leurs primes d’assurance-maladie ou leur participation aux coûts.
La part de l’État dans le financement des dépenses de santé ne s’élève qu’à 31%. Plus de six francs sur dix de ce financement public correspondent aux contributions des cantons et des communes aux hôpitaux, aux établissements médico-sociaux ainsi qu’aux services d’aide et de soins à domicile.
Notre financement actuel du système de santé est donc porté largement majoritairement par les individus. Et les primes augmentent plus que les coûts : l’augmentation des primes n’est donc pas uniquement imputable à l’augmentation des coûts. Alors que l’on sait que 10 à 20% de la population renonce à des prestations médicales pour des raisons financières!
Financer une part croissante du système de santé par l’AOS entraîne une augmentation des primes pour les ménages et relègue au second plan les coûts que les assurés assument à titre privé. C’est un scandale découlant d’un choix politique non solidaire quant à la répartition de ces coûts. Surtout quand on sait que les cantons réduisent continuellement leur part de réductions de primes, bien qu’ils fassent des bénéfices. Alors qu’en 2010, ils contribuaient encore en moyenne à la moitié de toutes les contributions à la réduction des primes, ils ne le feront plus qu’à hauteur de 43% environ en 2019.
Pour une gouvernance de notre système de santé plus juste
Il est donc nécessaire de revoir cette répartition afin de la rendre plus juste et supportable pour les ménages privés. Et pour cela, il faut en réalité cesser de chercher à gouverner notre système de santé par le prisme des coûts uniquement mais de permettre une gouvernance par la qualité.
À cela s’ajoute les examens, opérations ou médicaments prescrits alors que le bénéfice rapporté n’est que modeste, ou, pire, que cette sur-prescription est mauvaise pour les patient·e·s. Cela aurait un impact estimé à 16 milliards selon des études étrangères. Autre problème de notre système : les salaires prohibitifs de certain·e·s médecins spécialisé·e·s. Ainsi, on perd de vue les principaux·ales concerné·e·s par le système : les patient·e·s. Or, en améliorant plutôt la qualité de notre système de santé, on améliore son efficience, y compris financière.
Un exemple accablant est celui de la prévention. Seul 2.2% des dépenses de santé sont en lien avec la prévention. Elle est donc aujourd’hui très peu développée, tout comme le soutien à l’acquisition de compétences de la population en matière de santé. Les personnes ayant un niveau d’éducation plus faible, un désavantage social ou un revenu plus faible tombent plus souvent malades et meurent plus tôt. La pauvreté va souvent de pair avec les problèmes de santé. Investir dans ce qu’on appelle les déterminants sociaux de la santé permettrait d’éviter de nombreuses maladies et donc également d’économiser des coûts.
Le réchauffement climatique et la perte de biodiversité sont quant à elles les plus grandes menaces sanitaires de notre époque. Le changement climatique et la pollution sont également à l’origine de nombreuses maladies. En effet, les maladies respiratoires, cardiaques et circulatoires dues aux polluants atmosphériques entraînent déjà 14’000 journées d’hospitalisation et 2’200 décès prématurés en Suisse chaque année. Ces déterminants environnementaux de la santé pèsent ainsi de plus en plus lourdement sur notre système de santé, et ce n’est pas la canicule actuelle qui va renverser la tendance.
Des solutions politiques à évaluer
En juin 2022 deux initiatives populaires parlant argent et système de santé ont été traités par le Conseil national. La première provenant du Centre, demande en substance un mécanisme de frein à la hausse des coûts dans l’assurance obligatoire des soins. Les VERTS se sont opposé·e·s à cette initiative populaire, car le risque qu’il entraîne une baisse de la qualité des prestations est important. Le contre-projet issu du travail de commission n’était pas non plus forcément du goût des VERTS, car il s’éloignait trop des buts fixés par le parti écologiste en matière de santé. Mais après des discussions en plénière ayant permis de l’améliorer, notamment en intégrant la notion de qualité, iels ont soutenu le contre-projet indirect qui a été, de justesse, adopté par le Conseil national.
La seconde initiative populaire a été lancé par le Parti socialiste et demande que les primes maladies ne représentent au maximum que 10% du revenu des ménages. Pour les VERT·E·S, il faut découpler la question des coûts et la question des primes. Le parti écologiste soutient une amélioration du système par la qualité et la prévention pour régler le problème des coûts, et une politique responsable et cohérente avec le haut niveau de qualité des soins en Suisse pour régler le problème des primes. C’est pour cela que nous avons soutenu avec conviction, lors du débat au Conseil national, l’initiative et un contre-projet ambitieux à ce texte, afin de permettre une mise en œuvre rapide et donc de soulager les ménages au plus vite.
Face à l’augmentation des primes, la solution est de viser une réduction des primes et de supprimer les primes par tête. La politique sanitaire pourra alors davantage se concentrer sur l’utilité personnelle, sociale et économique du système sanitaire et sur la manière de le gérer intelligemment, au lieu de se préoccuper uniquement d’en réduire les coûts.
Un excellent système sanitaire compte parmi les ressources les plus importantes de notre pays et que les dépenses en valent la peine, car il s’agit là d’investissements dans la santé et la qualité de vie de la population, dans la place économique et scientifique (qui génère des centaines de milliers d’emplois) et dans notre prospérité globale.
Pour les VERT·E·S, il faut plutôt privilégier des sources de financement plus solidaire, mais aussi penser le système de la santé différemment, en acceptant que la santé n’est pas une question individuelle, mais une responsabilité collective, tant les déterminants environnementaux et sociaux de la santé pèsent lourd dans la balance.
Nous devons miser sur une santé communautaire, un système de financement populationnel, qui met le maintien des gens en santé au cœur de son fonctionnement, par la prévention, par la promotion de la santé, par le renforcement des compétences en santé de la population, par un environnement sain et égalitaire.
Et pour toutes les personnes dont la santé est tout de même toucher, leur permettre d’avoir accès à des soins de qualité sans mettre en danger leur santé financière.