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Les dindons de la farce

Le plaisir de vivre en ville, ça passe beaucoup par les papilles. Partager, ensemble, des moments de convivialité autour de l’inventivité des artisan·ne·s du goût qui animent la ville. Lausanne avec ses restaurants, ses bars, ses cafés fermés, ce n’est plus tout à fait Lausanne telle que je l’aime. C’est non seulement une tristesse, mais c’est aussi et surtout un crève-cœur de voir et de parler avec mes ami·e·s propriétaires de restaurants, de bar, d’hôtels désemparé·e·s face à cette situation dramatique pour elles et eux. Iels veulent travailler, iels ont des frais à payer, iels voient l’avenir en noir.

Iels se sentent aussi trahi·e·s, et à juste titre !

Les aides d’urgence, obtenues de haute lutte par le Parlement, n’ont bien failli n’arriver qu’en février 2021 sans la pression importante mise sur le Conseil fédéral. Et leur mise en œuvre est encore un mystère : alors que dès le 1er décembre les fonds fédéraux devraient être disponibles, les cantons, responsables de les demander, sont encore en train de tâtonner sur la procédure. En 24h, ils peuvent fermer d’autorité des secteurs entiers d’activité et plonger des milliers de travailleurs·euses dans la précarité et l’insécurité, mais il leur faudra des mois pour mettre en œuvre les aides pour faire face aux conséquences sociales et économiques de ces décisions. Cela relève simplement d’une politique budgétaire ultra conservatrice qui a du mal à se libérer des logiques partisanes en cette période pourtant extraordinaire et d’une déconnection totale d’élu·e·s sans aucuns problèmes financiers face aux drames qui se jouent.

Le meilleur exemple : le Parlement ne cesse de repousser les aides pour les loyers commerciaux. Les petits commerces sont ainsi sacrifiés sur l’autel de la sacro-sainte liberté économique de l’immobilier. Dans ce pays, on ne force pas facilement les propriétaires à être solidaires et ils sont très efficacement représentés dans les instances politiques, qui n’hésite pas à dire qu’il n’y a pas de problème.

Par-dessus le marché, les mesures sanitaires sont appliquées de manière chaotique, sans coordination ni solidarité entre les cantons. On a imposé des dizaines de restrictions, sans aide supplémentaire juste pour distribuer le moins d’aides possible tout en prétendant laisser la possibilité à ces établissements de gagner suffisamment d’argent. Guidée en partie par la réticence des gouvernements à desserrer les cordons de la bourse, cette cacophonie a des conséquences sanitaires, mais aussi économiques énormes et fait l’état d’une incompréhension totale des besoins et motivations de ces professionnel·le·s guidé·e·s par l’envie d’accueillir et faire plaisir aux gens. Si on peut comprendre les risques sanitaires des soirées arrosées, la fermeture des établissements par exemple à midi est inexplicable. Il devrait être possible de laisser un peu de vie dans la ville tout donnant des aides pour prendre en charge les frais non couverts et compenser le manque à gagner occasionné par les mesures imposées.

Cerise sur le gâteau : quand, face à cette situation, les restaurateurs·trices sortent de leur retenu militante et manifestent avec inventivité et dans le respect des règles sanitaires, iels sont poursuivi·e·s par la police !

Mais de qui vient la trahison ? Force est de constater que celles et ceux qui prétendent toute l’année être du côté de « l’économie », écouter les PME et les indépendant·e·s, connaître les problèmes concrets de celles et ceux qui donnent du travail montrent leur vrai visage : ces responsables politiques, dans les exécutifs comme les législatifs, sont en fait du côté de l’argent. Si vous n’en faites plus suffisamment ou si vous en avez soudainement besoin, vous passez soudainement du côté des parasites sur leur oreiller de paresse. C’est le dédain des mieux loti·e·s pour celles et ceux qui galèrent pour s’en sortir. Les ministres des finances qui tiennent leurs bourses fermées, les élu·e·s qui font des propositions pour diminuer les aides COVID, les majorités qui combattent les solutions pour les loyers, les partis qui s’opposent à toute extension des assurances sociales et qui veulent réduire les revenus de l’État, les pressions politiques pour être intraitable face aux règles de manifestation, portent la patte du PLR, de l’UDC et de la branche libérale du PDC.

Face à cette nouvelle transparence de ces partis du fric qui ont instrumentalisé pendant des années les indépendant·e·s et les petits commerçant·e·s pour promouvoir leur politique financière, la gauche ne fait pas mieux. Nous n’avons pas su montrer que nos solutions solidaires profitaient à toutes et tous, nous n’avons pas vraiment cherché à nous intéresser à la réalité des petit·e·s patrons et patronnes, nous avons parfois péché par aveuglement partisan en soutenant des mesures administratives trop lourdes. Nous n’arriverons certainement pas à corriger ces biais, mais nous nous battons actuellement comme des fauves pour que notre État soit solidaire au milieu de cette crise et soutiennent toutes celles et tous ceux qui en ont besoin, en déposant des dizaines de propositions favorables aux petits commerces, aux indépendant·e·s, au tourisme, aux professionnel·le·s de la santé, aux travailleurs·euses, aux entreprises formatrices, à l’économie de la culture. Et moi je me réjouis de bientôt boire à la santé des restaurants, des bars, des cafés réouverts, de leur formidable résilience et de leur engagement militant remarquable !