Skip links

LPP 21, une occasion manquée

Un regard rétrospectif sur l’évolution du deuxième pilier montre pourquoi il est aujourd’hui, et dans le contexte actuel de la réforme de la LPP, extrêmement important que nous puissions saisir la chance que représente le compromis proposé par les partenaires sociaux. Malheureusement, la réforme de la loi, dans sa forme actuelle, passe au contraire largement à côté des intérêts des salarié-e-x-s.

En 1916, l’arrêté fédéral sur l’exonération fiscale des versements à la prévoyance du personnel a posé la première pierre de la prévoyance professionnelle. Dans les années 1960 à 1980, de très nombreuses nouvelles institutions de prévoyance en faveur du personnel ont été créées. Le coup d’envoi est donné en décembre 1972 : le principe des trois piliers est ancré dans la Constitution fédérale suisse. La prévoyance professionnelle constitue depuis lors le deuxième pilier et le régime obligatoire LPP entre en vigueur le 1er janvier 1985. Pour comprendre la prévoyance professionnelle, il est important de connaître le contexte dans lequel elle a été créée. C’est-à-dire à une époque où une seule personne nourrissait une famille, où l’homme travaillait à 100 % pendant environ 40 ans en tant que seul soutien de famille. C’est sur ce modèle professionnel que le deuxième pilier a été conçu, et c’est selon cette logique old school qu’il fonctionne encore aujourd’hui. La prévoyance professionnelle n’est toutefois pas armée pour les travailleur-euse-x-s à temps partiel – leurs cotisations sont plus faibles, tout comme leurs rentes. Le fait que 6 femmes sur 10 travaillent aujourd’hui à temps partiel, contre seulement 1,8 homme sur 10, résume la situation : la prévoyance professionnelle, dans sa forme actuelle, est une protection pour les hommes.

Depuis 1985, beaucoup de choses ont changé dans le deuxième pilier ; en 1995, par exemple, en cas de changement d’emploi, l’avoir épargné a pu être transféré à la nouvelle caisse de pension ; depuis lors, il est également possible de retirer son capital pour acquérir un logement. D’autres réformes plus complètes ont suivi, notamment de 2004 à 2006 dans le cadre de la première révision de la LPP. Celle-ci a surtout établi la gestion paritaire des caisses de pension, qui revêt une importance capitale. Une rente de veuf a également été introduite et le seuil d’entrée ainsi que la déduction de coordination ont été abaissés. Le taux de conversion (le pourcentage qui permet de convertir l’avoir de vieillesse en une rente de retraite annuelle) a également été abaissé pour la première fois de 7,2 % à 6,8 %, et ce sur une période de dix ans. La réforme structurelle de 2011-2012 a conduit à un renforcement de la surveillance et, très important, à des dispositions supplémentaires en matière de gouvernance et de transparence.

Mais le fait que, avant même que la première personne ayant cotisé toute sa vie au deuxième pilier ne prenne sa retraite – ce qui sera le cas en 2025, 40 ans après l’introduction du deuxième pilier -, une nouvelle réforme complète et fondamentale soit nécessaire montre que le deuxième pilier, dans sa forme actuelle, n’est tout simplement pas compatible avec les modes de vie actuels.

Contrairement à l’AVS, la prévoyance professionnelle est moins touchée par l’évolution démographique et les caisses de pension disposent d’une certaine liberté pour aménager leurs prestations, notamment dans la partie surobligatoire. Mais elles sont très fortement exposées à l’évolution des taux d’intérêt. C’est notamment cette incertitude financière et économique qui a conduit à une situation financière tendue pour les caisses de pension au cours des dernières années, qui conduit à une nette diminution de leur nombre : environ 1000 d’entre elles ont disparu entre 2008 et 2018.

De plus, une évolution très problématique de ces dernières années est celle des coûts générés par les caisses de pension. Le nombre toujours élevé d’institutions de prévoyance fait que les profanes ne peuvent souvent pas décider elleux-mêmes à laquelle iels souhaitent s’affilier avec leur entreprise. Iels recourent donc aux conseils de courtier-ère-x-s, qui perçoivent en contrepartie une énorme contribution. Chaque année, celles-ci se chiffrent à 300 millions de francs pour toute la Suisse, qui sont prélevés sur les primes des caisses de pension. 

Autre poste de dépenses détourné des caisses de pension et donc de la fortune des assuré-e-x-s : les frais de gestion de la fortune.

Une évaluation récente de Comparis a montré que chaque personne assurée dépense en moyenne neuf cent soixante francs pour la gestion de sa fortune. 960 francs par an ! A cela s’ajoutent environ 220 francs de frais administratifs – un montant impressionnant si l’on considère que fin 2019, plus de 4,3 millions de personnes en Suisse étaient assurées activement dans le deuxième pilier. Cela représente un total de 4,12 milliards de francs pour les frais administratifs du deuxième pilier. A titre de comparaison, l’administration de l’AVS a coûté 222 millions de francs en 2019, soit seulement 26 francs par personne assurée. Ces coûts dans le deuxième pilier sont trop élevés et doivent être réduits !

Le deuxième pilier n’en reste pas moins aujourd’hui fondamental : le premier pilier ne suffit toujours pas à garantir le minimum vital, contrairement à son obligation constitutionnelle. Nous devons donc augmenter les rentes. À moyen terme, cela signifie que nous avons besoin d’un deuxième pilier qui ne soit pas réservé aux personnes qui gagnent bien leur vie, mais qui soit largement soutenu et qui garantisse une retraite dans la dignité à de larges couches de la population.

Vieillir dans la dignité est un droit actuellement difficile à atteindre, surtout pour les personnes ayant un faible taux d’occupation dans les secteurs à bas salaires. Ou pour le dire autrement : ce sont surtout les femmes qui sont désavantagées dans le deuxième pilier. Elles perçoivent en moyenne un tiers de rente en moins ; une femme sur dix est obligée de toucher des prestations complémentaires en même temps que sa rente. Cette situation est choquante et indigne d’une Suisse moderne et progressiste. Car les lacunes dans les versements ne sont pas seulement dues aux emplois occupés par les femmes dans des segments de salaires inférieurs, mais aussi à la part toujours massivement plus élevée de travail non rémunéré. Des calculs montrent que les femmes perdent ainsi 108 milliards de francs par an – et ce, bien que les femmes et les hommes travaillent à peu près le même nombre d’heures. 75% de ce manque à gagner peut être expliqué par la répartition inégale du travail rémunéré et non rémunéré – 25% sont dus au gender pay gap.

Les femmes ne travaillent donc pas moins que les hommes : on estime seulement qu’elles consacrent 80% de leur temps de travail aux soins et à l’assistance. Le résultat ? Les femmes sont doublement pénalisées au moment de la retraite : avec une rente plus faible et une fortune épargnée nettement plus faible.

Les chiffres des statistiques sur les nouvelles rentes le montrent de manière exemplaire : en 2019, les femmes ont reçu en moyenne (médiane) 1160 francs par mois de rente du deuxième pilier – pour les hommes, ce montant était de 2144 francs. En combinaison avec l’AVS, les nouveaux rentiers ont reçu près de 2700 francs en moyenne, les nouvelles rentières 1500 francs en moyenne.

Or, la dernière réforme en date de la prévoyance professionnelle est non seulement aveugle à cette urgence existentielle pour les femmes, mais elle prévoit aussi des baisses massives de rente pour tout le monde. L’abaissement du taux de conversion à 6%, ainsi que des majorations de rente pour neuf classes d’âge est au menu. Sur le fond, de la gauche à la droite, nous voulons tous et toutes d’une réforme qui s’accompagne de mesures de compensation pour les classes d’âge les plus touchées par la baisse du taux de conversion. Mais la version adoptée par la CSSS-N et débattue en plénum, ne garantit un supplément de rente qu’à 35-40% des assurés LPP. Ce supplément doit de plus être financé par la classe moyenne. De plus, des pertes de rentes allant jusqu’à 10% sont acceptées : Même parmi les bas salaires, seuls 50% recevront des aides financières pour stabiliser leurs rentes. L’autre moitié ne reçoit rien.

Les travailleur-euse-x-s à revenus moyens et faibles paient donc un prix très élevé pour ce programme de réduction des rentes.

Pourtant, il y avait mieux à faire : sur la table, nous avions le compromis des partenaires sociaux, plus complet, plus social, acceptable par la population. Un compromis qui donnait une réponse mesurée aux difficultés des caisses de pensions comme des retraité-e-x-s les plus pauvres, femmes en tête. Un compromis réalisé dans l’esprit de la LPP : sur discussion des employeur-euses-x-s et des employé-e-x-s.