Notre pays connaît un besoin croissant en soins ce qui entraîne, de même, un nombre de postes vacants croissant dans le milieu des soins en raison de l’évolution démographique : les personnes deviennent de plus en plus âgées et ont besoin de davantage de soins. Dans le même temps, la proportion de personnes souffrant de maladies chroniques et multiples augmente, ce qui alourdit la charge du personnel soignant
Il y a actuellement 11’000 postes vacants dans les soins. D’ici à 2029, nous aurons besoin de 70’500 soignant·e·s supplémentaires, dont 43’200 infirmiers et infirmières. Trop peu sont formé·e·s en Suisse : il va en manquer 14’500 d’ici à 2029 et cela implique des pénuries dans les hôpitaux, dans les EMS, dans les soins à domicile, des proches moins bien soignés, des opérations importantes reportées.
Des conditions de travail qui dégoûtent les soignant·e·s
La crise du coronavirus nous aura démontré l’importance du métier d’infirmier·ère·s pour notre système de santé. Cette profession est un métier que l’on peut qualifier, sans hésiter, de difficile. Les horaires, le manque de reconnaissance, les salaires plutôt bas, la pression intense et permanente vécues par ces femmes et ces hommes sont autant d’aspects qui poussent une proportion importante de personnes formées à stopper très rapidement leur carrière.
Ainsi, 40% des personnes formées quittent précocement la profession, dont un tiers ont moins de 35 ans ! La raison principale évoquée est la perte de sens, car les conditions de travail ne permettent pas de faire correctement son travail et de bien prendre soin des patient·e·s. C’est donc un véritable cercle vicieux qui se met en place : il y a trop peu de soignant·e·s pour trop de patient·e·s ce qui entraîne des conditions de travail et de soin mauvaises amenant à un sentiment de perte de sens et changement d’orientation professionnelle, ce qui a pour résultat d’avoir à disposition toujours moins de soignant·e·s par patient·e·s.
Les conditions salariales sont aussi mauvaises : un quinquagénaire qui entre dans la police bernoise gagne environ 5400.- CHF durant sa première année de formation. Pour un·e soignant·e, cela sera pour sa part entre 1000.- et 1400.- CHF. Autre élément : la pression sur les budgets de la santé et la réduction des tarifs pour les prestations des infirmier·ère·s indépendantes impactent leurs salaires. Cela mène, encore une fois, à une diminution du nombre de soignant·e·s et détériore les prestations de soins dans tout le pays. C’est particulièrement vrai pour les régions de campagne et de montagne, qui sont parfois déjà des déserts sanitaires.
La Suisse compte sur ses voisins pour soigner ses citoyen·ne·s.
Notre dépendance à l’égard du personnel possédant des diplômes étrangers est trop élevée. Pendant le COVID, si les frontières avaient été fermées aussi pour les frontalier·ère·s de la part des pays voisins ou si l’Italie par exemple avait voulu retenir le personnel infirmier pour qu’il travaille dans les hôpitaux du pays, nous aurions manqué terriblement de personnel pour nos malades. Nous devons former et garder notre propre personnel de soins infirmiers.
Les pays étrangers eux-mêmes ont de plus en plus besoin du personnel qu’ils forment. Ils sont d’ailleurs en train d’améliorer les conditions de travail qu’ils proposent afin de les retenir et de limiter leur départ. La tendance s’observe déjà avec le retour en Allemagne de nombreux·euses médecins et infirmier·ère·s auparavant employé·e·s en Suisse. Nous ne pourrons donc plus compter longtemps sur le personnel étranger et cela se ressent déjà : c’est de plus en plus difficile de pourvoir les postes vacants et c’est l’une des raisons pour lesquelles 10’000 postes ne sont actuellement pas pourvus dans les soins.
Pourtant, les travaux du care ne sont pas délocalisables. Investir dans les soins infirmiers, c’est investir dans l’emploi durable et dans le tissu économique suisse. C’est aussi soutenir une branche qui produit des biens qui n’ont pas de prix: la santé, le bien-être, le lien!
Ce que propose l’initiative
Face à cette réalité, en 2017, une initiative a été déposée afin de demander des mesures pour former plus de soignant·e·s et ainsi maintenir la qualité des soins à son niveau actuel.
Le texte de l’initiative pour des soins infirmiers se trouve sous ce lien et reprend trois revendications :
- Former davantage de soignant·e·s grâce à une réelle offensive de formation
- Prévenir les abandons de la profession en améliorant les conditions de travail
- Assurer la qualité des soins en garantissant un nombre suffisant de soignant·e·s
Si l’initiative est acceptée, la Confédération et cantons devront ainsi investir dans la formation ; les horaires, les possibilités de concilier son travail avec sa famille et les salaires auront un cadre législatif ; les infirmier·ères pourront facturer leurs prestations sans passer par un·e médecin et le nombre d’infirmier·ières par patient·e·s sera fixé.
Ce que propose le contre-projet
Le Conseil fédéral et le Parlement opposent à l’initiative un contre-projet indirect qui prévoit que la formation et la formation continue recevront jusqu’à un milliard de francs sur huit ans. Les infirmier·ère·s pourront facturer directement certaines prestations, un mécanisme de contrôle permettant de prévenir une augmentation des coûts de la santé et des primes d’assurance-maladie.
Ce contre-projet est totalement insuffisant pour répondre aux défis présents et futurs pour la prise en charge et la qualité des soins, car il ne met en place aucunes mesures:
- contre la surcharge chronique,
- pour améliorer les salaires,
- pour prévenir l’abandon de la profession,
- pour garantir la qualité des soins et la sécurité des patient·e·s.
En gros, nous allons investir massivement dans la formation, mais rien ne sera fait pour maintenir les personnes formées dans la profession. C’est tout simplement de l’argent jeté par les fenêtres.
Focus sur trois contre-arguments à démonter
1) L’adoption du contre-projet permettrait d’aller plus vite dans la mise en œuvre des réformes. Cet argument est faux, car l’initiative prévoit des mesures transitoires dans les 18 mois et une loi dans les 4 ans, pour laquelle le Parlement pourra s’appuyer sur le contre-projet. À cela s’ajoute le fait que le contre-projet exige de chaque canton qu’il crée sa propre loi en la matière, cela prendra dès lors de toute manière énormément de temps.
2) Les conditions de travail des infirmier·ère·s, selon les opposant·e·s ne devraient pas être réglées au niveau fédéral. En réalité, les conditions de travail sont déjà essentiellement réglementées dans le Code des obligations et dans la Loi sur le travail. Quant aux salaires, les lois fédérales fournissent le cadre, les partenaires sociaux doivent régler les détails, y compris le niveau des salaires. Il faut (a) des spécifications concernant le nombre d’infirmier·ère·s qualifié·e·s en poste et (b) une compensation appropriée pour les services infirmiers. Sinon, les partenaires sociaux n’auront pas la possibilité d’améliorer les conditions de travail. Il y a des précédents dans le fait de fixer les conditions de travail et les salaires de secteurs considérés comme essentiels avec la Poste.
3) L’initiative privilégierait un type spécifique de professionnel·le·s. Là aussi, la situation est tout autre : l’initiative est bénéfique à l’ensemble de la branche des soins, car tous·tes les professionnel·le·s de la santé vont profiter d’un nombre plus grand d’infirmiers·ères. La pression sur les équipes sera moins grande. D’ailleurs, les organisations principales de médecins, de sages-femmes, de patient·e·s, de spécialistes des soins intensifs, psychiatriques et palliatifs soutiennent l’initiative. Mais surtout, les soins dépendent tellement du personnel infirmier que cette initiative va surtout bénéficier à toutes les personnes qui nécessitent ou qui vont nécessiter des soins. L’objectif est que nous soyons bien soigné·e·s !
Cette note de blog vient compléter mes prises de parole en plénière, lors du débat d’actualité de la session d’automne 2021 et sur l’initiative proprement dite ainsi que ma note de blog “Pour des soins infirmiers forts”.