Quelle colère! Le 25 septembre, le projet AVS21 a été accepté par 50.57% des votant·e·s soit à peine 32’316 voix d’écart. Le projet complémentaire d’augmentation de la TVA a lui aussi été soutenu avec 55.07%. En Suisse Romande, la donne est différente : rejet massif avec 60.54% de NON à Fribourg, 62.06% dans le canton de Vaud, 54.98% en Valais, 54.53% à Neuchâtel, 62.76% à Genève et 70.88% dans le Jura!
Contrairement aux prédictions des sondages, le résultat est donc extrêmement serré. On y a même sérieusement cru à un moment de la journée. Comme le reconnaît le Conseil fédéral, il sera nécessaire d’entendre le message adressé au Parlement par la très forte minorité de la population dans les prochains dossiers touchant à l’égalité. Les attentes, en particulier, dans le cadre de la réforme du 2ème pilier, sont donc grandes!
D’après les sondages réalisés avant les votations, les femmes se seraient plutôt opposées au projet, tandis que les hommes auraient davantage voté en sa faveur. Il s’agit donc d’un clivage régional, mais également de genre et surtout une preuve supplémentaire que les femmes, encore maintenant, se retrouvent souvent seules dans le combat pour l’égalité. Car, si les porteur·euse·s de ce projet (dont les femmes de droite) se sont caché·e·s derrière le prétexte de l’égalité, iels ne l’ont toujours pas mise en œuvre, alors qu’iels ont la majorité au Parlement depuis toujours. Nous devons donc nous mobiliser plus que jamais et préparer avec fureur le 14 juin 2023.
Mais quelle suite donner à cette gifle pour les femmes ? Perspectives.
Les conséquences de la réforme
1 an de plus pour accéder à la retraite
Le relèvement de l’âge de référence des femmes de 64 à 65 ans sera progressif, à raison de trois mois par année, débutant une année après l’entrée en vigueur de la réforme. Ainsi, si cette dernière entre en vigueur, comme prévu, en 2024, l’âge de référence des femmes sera prolongé pour la première fois de trois mois le 1er janvier 2025 pour celles nées en 1961. L’âge de référence sera donc le même (65 ans) pour les hommes et les femmes à partir de 2028. Afin de maintenir le lien entre AVS et prévoyance professionnelle, ce nouvel âge de référence vaudra aussi bien pour l’un (1er pilier) que pour l’autre (2e pilier).
Mesures compensatoires
La réforme AVS 21 prévoit deux mesures visant à atténuer les effets du relèvement de l’âge de référence pour les femmes de la génération transitoire. La génération transitoire englobe neuf classes d’âge. Si AVS 21 entre en vigueur en 2024, les femmes concernées seront celles nées entre 1961 et 1969. Les femmes de la génération transitoire qui décident de ne pas anticiper leur rente de vieillesse recevront un supplément mensuel de rente AVS à vie, qui correspond au pourcentage d’un supplément de base. Le supplément de base dépend du salaire et équivaut à 160 francs pour un revenu annuel moyen bas (≤ 57 360 francs), 100 francs pour un revenu annuel moyen intermédiaire (de 57 361 à 71 700 francs), 50 francs pour un revenu annuel moyen élevé (≥ 71 701 francs). En fonction de l’âge et du salaire, certaines femmes ne toucheront que 12.- en compensation de la perte de temps de retraite en bonne santé. Le supplément de rente individuel est échelonné en fonction de l’année de naissance.
Quelques autres effets
Avec AVS21 un versement flexible plus important de la retraite est désormais possible. La rente de vieillesse peut être perçue entre 63 et 70 ans pour les hommes et les femmes (celle-ci pouvaient la prendre jusqu’à 62 ans jusqu’à maintenant) ; entre 62 et 70 ans pour les femmes de la génération transitoire. Il sera possible d’anticiper ou d’ajourner une partie de la rente. Les taux de réduction en cas d’anticipation et les taux d’augmentation en cas d’ajournement seront adaptés à l’espérance de vie, et réduits en conséquence. Des réductions moins importantes sont prévues pour les faibles revenus (RAM CHF ≤ 57 360). Ces adaptations sont prévues pour 2027 au plus tôt. Les nouveaux taux ne seront fixés par le Conseil fédéral que peu de temps avant leur introduction.
Actuellement, une franchise de cotisation de 1400 francs par mois, ou 16 800 francs par année, est appliquée en cas de poursuite d’une activité lucrative au-delà de l’âge de la retraite. Les cotisations payées après cet âge ne conduisent en revanche pas à une rente de vieillesse plus élevée. Avec AVS21, il est possible de renoncer à la franchise pour les personnes exerçant une activité lucrative après l’âge de la retraite. La prise en compte des cotisations AVS payées après l’âge de référence (65 ans) est possible et une plus grande possibilité de combler les lacunes de cotisations existe. Les cotisations au-delà de 65 ans améliorent la rente AVS.
Hausse de la TVA
Autre sujet de votation mais lié au projet : la hausse du taux de TVA. Aussi acceptée par le peuple, elle est augmentée de 0.4% passant de 7.6% à 8.1% pour le taux ordinaire. Cela équivaut à plus de 12 milliards de francs de taxe supplémentaire sur la consommation qui seront transmis au fond AVS.
Et ensuite ?
Les attaques des prestations de l’AVS ne s’arrêteront pas là! Une initiative déposée par les jeunes PLR et soutenue par le PLR aux chambres demande l’augmentation de l’âge de la retraite pour tout le monde à 67 ans. Et qu’elle augmente régulièrement en fonction de la durée de vie. Une motion a été acceptée par les deux chambres pour faire une prochaine réforme de l’AVS, avec en son centre l’augmentation de l’âge de la retraite. Le Conseil fédéral parle depuis longtemps d’augmenter l’âge de la retraite pour tout le monde, notamment jusqu’à 68 ans. Maintenant que le verrou de l’âge de la retraite des femmes a sauté, il faudra être très attentif à la suite des offensives contre les prestations AVS, car elle est déjà prête et elle est sombre pour les bas et moyens salaires.
Mais surtout, et les opposant·e·s à cette réforme l’ont dit et redit : elle ne résoudra en rien les problèmes de pauvretés de nos retraité·e·s. L’écart de rente entre hommes et femmes est actuellement de 34.6% selon l’OFS. De plus, une personne sur 10 et une femme sur 6 vivent dans la pauvreté à la retraite.
Nous allons donc devoir continuer à nous battre pour permettre :
- La réalisation effective de l’égalité salariale entre femmes et hommes en Suisse
- La mise en œuvre d’une réforme du second pilier plus juste et solidaire
- La revalorisation des rentes AVS.
L’écart salarial entre femme et homme à compétence égale en Suisse est, selon les chiffres de 2018, de 19.6%. Si cet écart tend à se réduire, il reste malgré tout un frein à la possibilité, pour les femmes, de cotiser convenablement pour leurs retraites. Il est donc nécessaire de lutter systématiquement contre la discrimination salariale. La loi sur l’égalité prévoit des analyses de salaire dans les entreprises occupant au moins 100 employé·e·s mais ces analyses ne font l’objet d’aucun contrôle et aucune sanction n’est prévue. Nous devons donc modifier la Loi sur l’égalité et exiger :
- des analyses salariales dans toutes les entreprises de 50 employé·e·s et plus ;
- des sanctions en cas de non-respect de la loi ;
- des mesures obligatoires en cas de discrimination salariale.
J’ai d’ailleurs déposé une motion demandant la création d’un ombudsman de l’égalité qui soit habilité à investiguer et à intervenir par le biais de recommandations, s’il constate dans une entreprise des discriminations entre femmes et hommes.
Autre effet collatéral de discrimination, les femmes travaillent trois fois plus que les hommes à temps partiel. La garde des enfants, le travail domestique gratuit et les autres responsabilités familiales sont les principales raisons évoquées pour justifier une occupation à temps partiel. Il est donc essentiel de prévoir une offre suffisante et avantageuse de prise en charge extrafamiliale des enfants. Le Parlement doit à cet effet adopter l’initiative parlementaire de la Commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil national et charger l’administration de la mettre rapidement en œuvre.
Les femmes occupent aussi plus souvent plusieurs emplois : 10% des femmes occupent plus d’un emploi contre seulement 5.7% d’homme en 2021. Cela entraîne donc des cotisations plus faibles voire inexistantes dans le deuxième pilier. En effet, cotiser au second pilier, contrairement au premier, n’est obligatoire que lorsqu’une personne touche plus de 21’510 francs annuellement auprès d’un·e seul·e et même employeur·euse. Dès lors que les femmes, en Suisse, occupent de multiples emplois et travaillent à temps partiel, elles ne cotisent souvent MÊME PAS au second pilier.
Résultat : les femmes touchent nettement plus rarement que les hommes une rente du 2ème pilier : 49% contre 70.6% ! Lorsqu’elles en touchent une, son montant est inférieur de 47% environ à celui des hommes. Un manque à gagner qui découle donc du système même de la prévoyance professionnelle mais aussi des parcours professionnels et à nos modèles familiaux.
Du point de vue de l’égalité en particulier, une réforme du second pilier est donc nécessaire. Elle a été entreprise par le Parlement comme déjà explicité. C’est d’ailleurs l’un des arguments des défenseur·euse·s du projet AVS21 : en cas de non au projet, la droite menaçait de « flinguer » cette réforme du 2ème pilier. Cette réforme issue initialement d’un compromis des partenaires sociaux a été très malmenée par le Parlement pour un résultat qui n’est pas solidaire. En discussion au sein du Conseil des Etats, il faudra voir comment évolue le projet. Et le résultat de la votation de dimanche dernier prouve que la majorité de droite est sous pression, comme l’a relevé le Conseil fédéral. Car il est peut probable que la version actuellement amendée passe la rampe de la votation populaire. À la lumière du résultat de dimanche, un seul projet est susceptible de réunir une majorité de Suissesses et de Suisses: celui du Conseil fédéral, issu d’un accord scellé il y a trois ans entre les syndicats et l’Union patronale suisse, qui permet de baisser le taux de conversion sans toucher les rentes et même d’améliorer les rentes les plus basses. Nous nous battrons, dans tous les cas, pour permettre une meilleure prise en considération des réalités sociales vécues par de nombreuses femmes et bas salaires dans le cadre de cette révision.
L’un des autres chantiers qu’il est indispensable d’ouvrir est la revalorisation des rentes AVS. En 2021, la rente minimale avec une durée de cotisation complète se montait à 1195 francs, et la rente maximale à 2390 francs, soit le double. Mais l’état civil de la/du bénéficiaire peut entraîner une variation de ce montant.
La situation de précarité des personnes ne touchant que l’AVS est donc importante. Surtout face à l’augmentation des coûts de la vie en Suisse en particulier pour ce qui touche au loyer et à l’assurance-maladie. La revalorisation des rentes AVS peut prendre plusieurs formes. L’une d’entre elles est l’initiative AVSx13 qui demande un supplément annuel pour les bénéficiaires s’élevant à un douzième de leur rente annuelle.
Finalement, comme le soulève Travail.Suisse, c’est une offensive pour l’égalité qui doit être menée par notre Parlement. Car le risque élevé de pauvreté des femmes, le manque de considération financière du travail de soins ou une politique familiale à la traîne ne sont que quelques-uns des manquements en matière d’égalité et de conciliation auxquels nous devons mettre fin!