Alors que la Suisse est en train, on l’espère, de sortir de la crise du COVID, la guerre russe en Ukraine la plonge dans une seconde. Que pouvons-nous apprendre de la gestion de la crise pandémique pour améliorer notre système?
Culturellement, la Suisse est un pays de consensus. Notre démocratie semi-directe, notre système de milice et le fédéralisme sont des éléments déterminant de notre système politique. Or, avec la crise du COVID, un certain nombre de ces principes fondamentaux ont été ébranlés.
Au début de la crise, clairement, le Parlement n’était pas adapté. Relevons, pour l’exemple, la décision du Bureau d’interrompre la troisième semaine de la session de printemps 2020 sans aucune base légale. Illégale et peut-être même anticonstitutionnelle, cette décision a été prise par la présidence du Parlement et les chef·e·s de groupe par téléphone un dimanche soir. Qu’un groupe de personnes si restreint ait le pouvoir de neutraliser le Parlement reste un choc pour moi. Cela n’a pourtant pas été et ne sera certainement pas examiné.
Ainsi, comme le rappelle la Commission des institutions politiques du Conseil national, la crise a montré que l’Assemblée fédérale dispose d’un éventail d’instruments juridiques qu’elle peut aussi utiliser pour gérer une crise : elle peut non seulement demander au Conseil fédéral qu’il prenne des mesures ou exercer une influence sur les mesures du Conseil fédéral, mais également élaborer elle-même des ordonnances et des lois fédérales urgentes. Toutefois, lorsqu’elle utilise ces divers instruments, elle se heurte souvent à des problèmes (manque de ressources, structures parfois lourdes, absence de majorité). Pour que ces instruments soient en tout temps efficaces, il faut que l’Assemblée fédérale puisse aussi les utiliser dans l’urgence et, partant, qu’elle et ses organes puissent siéger. Il est aussi nécessaire de “moderniser” certaines pratiques en permettant aux élu·e·s de siéger en ligne en cas d’urgence ou lorsque les réunions physiques ne sont pas possibles. Autre exemple : il conviendrait de prévoir la possibilité d’être remplacé·e ou de pouvoir voter à distance (ce qui d’ailleurs serait pertinent dans les cas de congés maternité/paternité).
En outre, le Parlement ne dispose pas à ce jour d’un droit de procédure en cas d’urgence (pandémie, attentat contre le Conseil fédéral, panne d’électricité, etc.). Les délais et les procédures prévus par la loi sur le Parlement ne sont pas adaptés à l’urgence, il convient de les réformer.
Les enseignements issus du travail parlementaire
Les premiers mois de crise nous ont démontré qu’il est essentiel d’associer de manière plus importante le Parlement à la gestion de la crise, notamment pour décréter la situation d’urgence.
Lorsque le Parlement a repris la main sur la gestion de la crise et adopté la Loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l’épidémie de COVID-19 (Loi COVID-19) en septembre 2020, des principes ont été mis en place pour renforcer le pouvoir du Parlement face aux dispositions de la loi sur les épidémies. Ainsi, la consultation des cantons et des partenaires sociaux de même que l’obligation d’information et de consultation du Parlement et des commissions compétentes ont été imposées au Conseil fédéral.
Autre élément où le travail législatif a été indispensable : l’adaptation de la législation afin de créer expressément une base légale pour l’application SwissCOVID, qui inclut, notamment, des efforts dans la protection des données des utilisateur·trice·s. Ce travail n’a malheureusement pas été fait pour le Certificat COVID, alors même qu’à mon avis une base légale pour régler son usage sur le territoire suisse était indispensable.
Les mesures économiques à (ap)prendre de la crise
Tout d’abord, la pandémie a démontré que notre système économique n’était pas adapté pour la prise en charge des intermittent·e·s et indépendant·e·s en cas de crise majeure. Victimes d’une grande précarité pendant ces deux années, le manque de reconnaissance de ces statuts professionnels particuliers a eu des conséquences néfastes très importantes. Nous avons œuvré pour que les personnes touchées par les fermetures et autres mesures étatiques soient entièrement compensées financièrement. Nous n’y sommes pas toujours parvenus , mais nous avons posé des bases pour que cela puisse entrer dans la loi. J’appelle de mes vœux une solution actionnable en cas de pandémie, mais aussi en cas d’une crise de grande ampleur issue d’autres causes, comme une catastrophe nucléaire ou environnementale.
Dans ce cas, il faudra également penser à un plafonnement des prix des produits de première nécessité. Il s’agit par exemple des masques et du gel dans le cas du COVID, mais évidemment que chaque crise amène des besoins divers. Dans les situations extraordinaires, cela doit être possible. De même que l’approvisionnement du pays en cas de grande crise doit être garanti. Des mesures de stockages devraient aussi être rendues obligatoires (et non seulement recommandées). Ce focus sur, d’un côté, l’accès de la population à des biens de première nécessité en cas de crise et, de l’autre, sur l’approvisionnement du pays résonne particulièrement alors que des inquiétudes naissent quant à l’indépendance, notamment énergétique, de la Suisse après l’invasion de l’Ukraine par la gouvernement russe. Les Vert·e·s ont des propositions.
Sur un autre plan et alors que la Suisse fait, pour la première fois depuis trop longtemps, honneur à sa tradition humanitaire en ouvrant grandes ses portes de l’asile, le trafic frontalier en cas de pandémie doit être garanti, y compris les trajets non professionnels. Il n’est pas acceptable de séparer familles et amoureux·euses par des frontières! Le Parlement a adopté une motion demandant précisément qu’une telle mesure soit mise en œuvre, afin de garantir une meilleure mobilité en tant de crise au sein des bassins frontaliers.
Quelle hiérarchie dans les priorités?
En novembre 2021, le Monde a publié un article chiffrant à 5 millions le bilan officiel du nombre de morts dans le monde dus au COVID. Mais il précise que ce chiffre serait gravement sous-estimé et pourrait être réévalué à plus de trois fois, soit 17 millions de mort·e·s (le double de la population suisse). En Suisse et dans la Principauté du Liechtenstein, 9200 personnes sont décédées en lien avec cette maladie depuis le début de la pandémie.
Derrière ces chiffres, se cache donc une question éthique qui se voudrait épineuse : avons-nous eu raison de restreindre ainsi la population pour “si peu de décès”? C’est en réalité une fausse question car si, nous avons eu, justement, si “peu de décès” c’est en grande partie grâce aux mesures sanitaires. Ces même mesures qui ont, par ailleurs, permis de sauvegarder notre système de santé et d’éviter son effondrement. Enfin , si ce chiffre peut paraître faible à certain·e·s, l’OFSP relève que “le nombre total de décès excédentaires est nettement supérieur à celui des plus fortes vagues de grippe saisonnière des années précédentes”.
En cas de crise, les réponses appropriées doivent ainsi passer le crible de l’éthique. Deux questions sanitaires en particulier n’ont pas été réglées et pourraient se retrouver lors d’autres crises: le tri des patient·e·s, effectué sur la base de directives de la société suisse de médecine intensive, n’a pas donné lieu à un débat de société, et la question de la hiérarchie entre les déterminants de la santé.
En effet, si la santé physique de la population a été protégée avec des mesures parfois lourdes, la santé mentale, en particulier celle des jeunes, moins touchés par des formes graves du COVID-19, n’a pas été prise en compte ni dans la pondération ni dans les mesures d’accompagnement. Ce qui a été décrit par les spécialistes et pédopsychiatres/pédopsychologues comme le sacrifice d’une génération démontre le manque d’intérêt de notre politique sanitaire pour la santé mentale et la prévention. De même, la désinfection agressive des surfaces dans les classes d’école à grands renforts de produits chimiques dangereux pour le développement des enfants, alors même que nous savions déjà que la propagation ne se fait pas par les surfaces, est une erreur. Il est urgent de changer d’optique!
Les crises, un danger pour la démocratie
Sans utilité épidémiologique, le certificat COVID qui a été un outil de division et à mon avis un échec démocratique. Nous devons imaginer des solutions qui permettent de préserver nos libertés individuelles et la liberté de commerce. De plus, le contrôle de l’état sur les données de santé ne doit pas être fait sans une loi ad hoc spécifique.
Cet outil mis en place à la dernière minute pour contraindre la population à se vacciner est la conséquence d’une double erreur politique dans le domaine de la santé: la faiblesse du système sanitaire et l’accent mis uniquement sur la responsabilité individuelle en matière de santé. En effet, toutes les mesures sanitaires avaient pour but d’éviter la surcharge du système hospitalier, auparavant déjà régulièrement débordé et dont le personnel était déjà épuisé. Même constat dans les EMS et pour les soins à domicile. Pourtant, le Conseil fédéral a suspendu certaines dispositions du droit du travail pour faire travailler encore plus le personnel sanitaire et ainsi répondre aux besoins. La santé publique en tant que service public, ainsi que la prévention et la promotion de la santé, s’imposent donc comme une solution durable aux crises sanitaires. Il s’agit de changer d’optique face aux services de santé et de les voir comme des objets d’investissements bénéficiaires sur le long terme plutôt que comme des postes de dépense. Il en va de même quand nous parlons du tournant énergétique indispensable: plus nous attendons, plus notre système risque la rupture, plus les investissements seront coûteux et plus nous devrons prendre des décisions contraires à la démocratie.
La prochaine grande crise est belle est bien celle des catastrophes environnementales, des réfugié·e·s climatiques, des pénuries énergétiques, alimentaires et en eau dues au dérèglement du climat. Plus nous attendons, plus notre santé, notre sécurité et notre démocratie sont en danger. Ça tombe bien: nombre des mesures à mettre en place pour y faire face, notamment le renforcement des services publics et l’indépendance énergétique nous permettent aussi de répondre aux crises sanitaires et sécuritaires. Mais allons-y!