La pandémie COVID-19 joue un rôle d’avertisseur. C’est pour nous l’occasion de faire le constat des travers de notre société. Au moment la sortie de crise, nous devons essayer des voies nouvelles, qui permettraient d’aller vers une société fonctionnant pour toutes et tous, et pas seulement pour les privilégié·e·s. Alors que nous vivrons ces prochains mois avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, c’est l’occasion d’avoir l’audace de penser un monde meilleur.
Combattre le dédain
Durant cette crise, les séances de commissions du Conseil national ont été parfois des expériences très frustrantes, où toutes nos propositions pour plus de solidarité ont été refusées par une majorité qui a la fâcheuse habitude d’aider les mieux loti·e·s et de ne rien faire pour celles et ceux qui se démènent pour s’en sortir. Il y a là un terrible dédain de celles et ceux qui bénéficient déjà de sécurité physique, psychique et financière. Le type de dédain qui fait dire au Conseiller fédéral en charge de l’économie que les aides publiques en temps de crise économique “ne doivent pas être des oreillers de paresse”. Car forcément, celles et ceux qui sont dans la gêne, qui n’arrivent pas à faire face en temps de crise avec des réserves financières suffisantes, sont dans cette situation par paresse et pas envie de profiter du système. Le dédain et le soupçon!
Le dédain, c’est sacrifier les travailleurs·euses précaires pour le confort de celles et ceux qui ont tout, les richesses et le pouvoir, notamment celui de se protéger, au contraire des celles et ceux dont le travail est essentiel et qui se doivent d’aller travailler avec la peur au ventre. Le dédain, c’est ne pas reconnaître que la société a poussé devant, comme un rempart, les gens qu’elle exploite déjà, en premier lieu les femmes et les migrant·e·s. Le dédain, c’est de ne pas prendre en compte ces risques, de ne pas compenser l’effort, de ne pas s’inquiéter de leur santé mentale, de la prise en charge de leur famille, de ne pas les informer correctement, de ne pas soutenir les plus faibles, méprisant nos demandes répétées. Ce qui est intéressant, c’est que le dédain et le soupçon, autrefois réservés aux petits salaires et aux bénéficiaires des aides sociales s’étendent maintenant aux indépendant·e·s et aux patron·ne·s qui ont besoin d’aides publiques. La preuve est ainsi faite que notre société est malade de ses richesses mal partagées et trace une ligne dure et violente entre celles et ceux qui possèdent dans le confort et celles et ceux qui se démènent pour joindre les deux bouts.
En fait, une grande partie des personnes dans la difficulté l’étaient déjà avant, mais elles se débrouillaient comme elles pouvaient, dans le silence. La crise ne fait que montrer et renforcer la crise sociale pré-existante: pas assez de moyens pour lutter contre la violence domestique, pour accompagner les parents d’enfants en difficultés, pour soutenir les proches-aidant·e·s, pour garantir l’égalité des chances à l’école, pour accueillir les enfants de parents qui travaillent, pour traiter dignement des gens à la retraite et des personnes âgées, pour soigner et protéger les personnes précaires dans l’invisibilité (sans-papiers, sans-abris, travailleurs et travailleuses du sexe, personnel domestique, etc.). Combattre ce dédain des biens loti·e·s pour celles et ceux qui galèrent est le moteur de mon engagement personnel et politique. J’espère que la clarté de la situation actuelle aura démontré d’une part cette violence, mais aussi les leviers de pression que peuvent avoir ces travailleurs et travailleuses. Réclamer de meilleures conditions de travail, se mobiliser dans les syndicats, exiger la revalorisation des professions indispensables au fonctionnement de notre société seront autant de combats que nous devrons mener.
Donner de la valeur à ce qui en a
Les services postaux, la voirie, les administrations communales et surtout le système sanitaire: le service public a démontré son utilité primaire et essentielle. En particulier évidemment, cette crise nous rappelle que le système de soin est un bien de première nécessité pour lequel il ne doit pas être question de faire des économies sur la qualité ou les ressources. Nous maintenons une capacité militaire importante (en hommes, en moyen, en formation, en matériel, en production locale) en cas de danger pour la population (une hypothétique attaque par exemple). Nous devons faire de même – et plus – pour la santé: engager, payer et traiter correctement ainsi que former suffisamment le personnel médical, en particulier les infirmières, mais aussi prévoir des stocks suffisants de matériel, réorienter une partie de la production vers les biens matériels de première nécessité et garantir leur production locale. La logique marchande a un coût terrible pour la santé. Le système hospitalier et médical de premier recours ne doit pas être mis sous la pression de la rentabilité et de la concurrence. Pourtant, entre 1998 et 2008, le nombre de lits est passé de 6,3 à 4,5 pour 1000 habitant·e·s, appliquant implacablement la logique de renvoyer dès que possible les gens là où c’est moins cher: chez eux. Face à cela, les applaudissement ne suffisent pas! Nous devons absolument revaloriser le statut des piliers des soins: les infirmiers et infirmières. Nous devons aussi dépasser la médecine biomédicale pour instaurer une médecine collaborative et pour prévenir la maladie tout en soignant solidairement. La médecine doit finalement avoir les moyens de répondre aux enjeux contemporains que sont les épidémies et le réchauffement climatique.
Les eaux de Venise à nouveau claires, les dauphins de retour en Méditerranée, un ciel sans panache de pollution des avions: des dizaines de signes claires nous montrent justement l’impact de l’activité humaine sur le climat et notre environnement. La crise du coronavirus, qu’on espère passagère, doit être vécue par l’humanité comme un avertissement, car si nous continuons ainsi à détruire notre espace vital, à mettre le feu à notre maison, les jours sombres sont devant nous! Le réchauffement climatique n’est en effet pas une crise passagère, mais bien une nouvelle réalité face à laquelle l’humanité doit s’adapter durablement et changer en profondeur sa manière d’agir si nous voulons survivre. En ce sens, les milliards mobilisés pour soutenir notre économie et les plans de relance qui seront certainement votés doivent avoir comme objectif de rendre notre société plus résiliente et plus résistante face au plus grand défi que l’humanité n’ait jamais connu: la mise en danger de son habitat par ses propres actions.
Le domaine de la culture a été particulièrement touché par les mesures mises en place pour faire face au coronavirus. Dès les premières interdictions de grandes manifestations le 28 février, puis avec l’interdiction totale le 16 mars, la création a été très touchée: privée de revenus, avec des interdictions et annulations d’une grande brutalité, de vraies douches froides pour des artistes, organisateurs·trices, passionné·e·s, souvent bénévoles, qui donnent beaucoup pour le partage de l’imagination. Avec cette crise, le tissu culturel a montré une grande fragilité et sa dépendance au bénévolat, pour un secteur qui fait partie de ceux qui manquent peut-être le plus en période de crise: la possibilité de s’évader, de questionner la réalité, de voir simplement du Beau. Soutenue par des bouts de ficelle, elle est un autre secteur dont l’impalpable nécessité devrait nous rester en tête une fois la crise passée.
Avoir l’audace d’un monde meilleur
Les grosses entreprises profitent plus de l’aide publique que les petites et les indépendant·e·s, l’accès aux aides publiques et aux assurances sociales reste très inégalitaire et réglé par une démarche de surveillance en défaveur de celles et ceux qui ont moins de pouvoir économique, social ou culturel. Ainsi, notre filet social est une passoire pour des milliers d’anonymes étouffé·e·s par les problèmes financiers et la pression administrative, alors que l’entreprenariat et la créativité ne sont pas encouragés. En parallèle, le Conseil fédéral veut sauver les compagnies d’aviation mais ne fait rien pour aider la presse, qui assure un vrai service public ou pour contrôler les loyers qui étranglent locataires et petit·e·s commerçant·e·s. Les partis de droite ne font pas mieux en ayant réclamé au plus vite la réouverture des commerces et des services, faisant fi de la santé des gens.
En résumé, les solutions pour répondre à la crise sont parfaitement similaires aux raisons qui ont créé la crise: une économie de la consommation, du commerce international ultra-compétitif, de la conservation des acquis pour les riches et de l’augmentation des richesses d’une petite partie de la population. Et pourtant, ce dont nous avons besoins, ce sont des solutions novatrices, qui permettent un monde plus résilient, plus égalitaire, plus solidaire. Un monde qui ne doit pas sauver le système capitaliste tous les 10 ans avec l’argent des impôts. Un monde où chacune et chacun a la possibilité de se réaliser, où chacun et chacune est à l’abri de la misère, en sécurité dans un environnement protégé. Penser que vouloir un monde meilleur est de l’utopisme romantique relève en fait du dernier des cynismes. Notre rôle de politicien·ne, de représentant·e du peuple, est bien d’oeuvrer au bien-être de chaque individu de la société. Pour y arriver, nous devons construire un monde meilleur!
Nous devons faire des propositions ambitieuse qui repense l’économie: un Green New Deal comme base de la relance, pourquoi pas une taxe sur les transactions financières. Nous devons repenser notre système de sécurité sociale qui est distendu, qui est très complexe et qui est très stigmatisant: un revenu de base, qui permet de nous préserver toutes et tous de la misère, tout en soutenant l’innovation et en donnant du pouvoir aux petits salaires, capables alors de s’opposer au système violent dans lequel ils·elles sont coincé·e·s. Le RBI, c’est aussi un pied de nez au dédain et au soupçon: 98% des gens interrogé·e·s en Suisse ont assuré ne pas s’arrêter de travailler en cas de revenu de base, mais être certain·e·s que les autres, oui.
Au final, à l’aube de la sortie de crise, j’espère que ce virus instiguera chez nous l’audace de penser autrement le système, l’espoir d’un monde meilleur, la volonté d’y parvenir, le courage de d’oser faire l’effort!